28 novembre 2018

Les yeux ouverts mais le regard droit

Notre pays vit une nouvelle phase du moment dégagiste. Le mouvement de colère qui se répand partout dans le pays contre la hausse des carburants en est une nouvelle expression. Il démontre d’abord que la captation des aspirations au changement qu’avait pu représenter le vote pour Emmanuel Macron aux élections présidentielles est désormais derrière nous. La parenthèse du « populisme mainstream », c’est-à-dire cette aptitude du système à revêtir les habits du dégagisme, à faire en sorte que « tout change pour que rien ne change » s’est refermée. Cette grande mystification s’est fracassée sur son incapacité à répondre aux aspirations profondes du peuple. Une nouvelle situation s’ouvre. Comme le mouvement des gilets jaunes lui-même, elle est traversée de contradictions internes et de guerres larvées. De quel côté du volcan, le cratère va-t-il cracher sa lave ? Est-ce le repli sur soi, la recherche des boucs émissaires qui va l’emporter ? Où est-ce au contraire les idées d’un autre partage de la richesse, de la nécessaire transition écologique et de la souveraineté du peuple qui vont émerger ?

La question reste ouverte. Il est en tout cas certain qu’il y’a du travail pour permettre que la colère, grandissante dans le pays, trouve son expression politique à travers des bulletins de vote. Le résultat décevant de l’élection partielle dans la 1ère circonscription de l’Essonne démontre en effet, une nouvelle fois, à quel point la grève civique est aujourd’hui le moyen privilégié d’expression du dégout pour les puissants. Il traduit l’ampleur du gouffre qui sépare le peuple de ses représentations politiques. En rendre responsable celles et ceux qui ne trouvent pas de raisons suffisantes à se déplacer aux urnes ne mènera à rien. Car comment les rendre coupables de ne plus croire au politique quand la souveraineté populaire est bafoué comme lors du référendum contre le Traité Constitutionnel Européen ? Comment leur en vouloir quand d’alternance en alternance, les individus se succèdent mais les mêmes politiques restent ? Comment leur reprocher de ne plus y croire après des années de reniements, de trahisons et de promesses bafouées ? Notre voix doit être celle des dégoutés, des énervés, des résignés qui retrouvent des raisons d’espérer. Notre force doit être celle du peuple qui se met en mouvement et notre colère se nourrit du mépris des puissants.

Cette analyse guide notre action. Elle commande notre stratégie. Car tout retour des recettes éculées, des compromis pourris, des unions sans principe, mettra irrémédiablement un mur entre le peuple et ce qui devrait être sa représentation politique. C’est pourquoi nous sommes plusieurs à avoir dit que des mauvais choix stratégiques avaient été fait au second tour de de la campagne en Essonne. Cela n’explique sans doute pas tout. Le poids du clientélisme et des réseaux augmente d’autant quand le nombre de votants ne dépasse pas les 20% des inscrits. Les attaques infâmes contre notre candidate Farida Amrani ont pu malheureusement avoir un impact concret. Mais il serait dangereux de ne pas regarder aussi en face nos propres errements. Car les discussions stratégiques ne sont pas des discussions abstraites et ont des conséquences concrètes.

Elles sont aussi des discussions sérieuses et importantes. C’est pourquoi il est particulièrement malvenu de les instrumentaliser pour régler des différents personnels ou masquer des déceptions personnelles parfois légitimes. Non, il n’y a pas de souverainistes au sein de la France insoumise qui n’y ont pas leur place. Nous croyons en la souveraineté du peuple. Nous savons que cette souveraineté s’exerce dans le cadre national. Si ceci est la définition du souverainisme, alors je suis souverainiste. Non, il n’y a pas d’éviction des laïques pour favoriser la prise du pouvoir de soi-disants communautaristes. La laïcité est l’une de nos boussoles et elle sera par exemple un des axes forts de notre campagne européenne à venir. Je suis un militant de la laïcité et fier de l’être. Mais il est de la responsabilité d’une instance chargée d’élaborer une liste de veiller à ce que les prises de position des personnes qui souhaitent s’y trouver restent cohérentes avec nos orientations programmatiques et stratégiques. C’est pourquoi je comprends et je soutiens les décisions récentes du comité électoral de la France insoumise. Je ne le fais pas pour convaincre les intéressés. Je sais qu’ils ne croient pas eux même à ce qu’ils racontent. Mais pour laver l’honneur d’une instance qui agit avec sérieux et droiture avec le seul objectif de construire la meilleure liste pour faire la meilleure campagne.

Et je veux dire ici que c’est justement parce que la France insoumise mène sans relâche le combat pour la laïcité et l’émancipation qu’elle ne peut accepter que l’on oppose la bataille pour l’émancipation et celle pour l’égalité sociale. Car l’égalité ne peut être complète qu’en se débarrassant des dominations religieuses ou patriarcales et en combattant le racisme, l’homophobie et toutes les formes d’oppression. Quel plus beau symbole de cette nécessaire convergence que ce rassemblement des gilets jaunes accueillant avec une haie d’honneur la marche contre les violences sexistes et sexuelles samedi dernier à Montpellier ?

Fédérer le peuple, c’est permettre la convergence de ces aspirations. C’est refuser leur opposition et leur hiérarchisation qui divise au lieu de rassembler. C’est permettre l’articulation de colères et de revendications à priori différentes dans un ensemble commun. C’est un long et difficile combat. Il avance. Continuer cette tâche avec persévérance, en confrontant notre pensée théorique aux éléments du réel, en gardant les yeux ouverts mais le regard droit, voilà la tâche qui est la nôtre. Il n’y a pas besoin pour cela de théoriser des déceptions personnelles et de joindre sa voix à celles de nos adversaires pour affaiblir l’outil, sans aucun doute imparfait, que nous avons commencé à construire.

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