Dans une tribune publiée dans les Echos, vous dénoncez la France insoumise comme « un parti nationaliste qui ne dit pas son nom », en le mettant dans le même sac que le Front national ou la Ligue du Nord du ministre de l’intérieur italien Matteo Salvini.
On voit que vous avez longuement réfléchi pendant l’été et on peut souligner la grande originalité de votre raisonnement. Il est dommage par contre que vous aient échappés les nombreux votes communs entre votre majorité et le Front National lors de l’examen de la loi « Asile et immigration ». Sans doute que cette convergence pour enfermer des enfants en centre de rétention pendant 90 jours est-elle pourtant davantage porteuse de sens que celle que vous dénoncez à propos du drapeau européen. Et sans doute vous auriez-pu alors vous rappeler que le ministre de l’intérieur italien avait à l’époque déclaré à ce sujet que « Macron est en train de faire en partie ce que je compte faire ».
Derrière cette caricature insultante et grossière, vous voulez en fait esquiver le débat de fond et masquer l’échec patent de votre politique européenne. Ainsi, après nous avoir promis monts et merveille, le président de la République enchaine les fins de non-recevoir. Son tour d’Europe diplomatique a accouché d’une souris. Comme son prédécesseur, il s’est incliné devant les désirs de la chancelière allemande devenant le nouveau rantanplan de Mme Merkel. En dénonçant comme du « chantage » ce qui n’est en réalité que la construction d’un rapport de force, vous apportez la preuve (si il y’en avait besoin) qu’il n’y a rien à attendre de votre gouvernement pour faire entendre la voix de la France en Europe.
Vos arguments en attestent. Vous dénoncez les propos de Jean-Luc Mélenchon du 23 octobre 2017 à propos de la participation de la France au budget européen. Mais que dit Jean-Luc Mélenchon ? Qu’il n’y a pas de raison de régler l’excédent budgétaire de la France au budget européen si cette participation financière est utilisée pour démembrer les services publics, mettre en concurrence les travailleurs de tous les pays ou refuser toute politique écologique digne de ce nom. Que la souveraineté budgétaire est à la base de la souveraineté populaire, et qu’il ne peut y’avoir de choix budgétaires déconnectés de la réalité des politiques financées. Que la France doit, pour se faire entendre, utiliser aussi le poids de sa participation au budget de l’Union Européenne. Que nous n’avons pas vocation à donner un salaire à nos bourreaux. Quoi de plus logique ? Madame Loiseau, en choisissant cet axe de critique, vous démontrez seulement que vous avez renoncé à tous les moyens permettant de se faire entendre à Bruxelles.
Construire un rapport de force pour rompre avec les traités européens serait donc ne pas avoir le sens de la solidarité ? Mais comment pouvez-vous parler de solidarité quand le dogme de la concurrence libre et non faussée détruit nos services publics, patrimoine de ceux qui n’en ont pas ? Comment pouvez-vous donner des leçons de justice sociale quand vous puisez dans les aides au logement ou dans les ressources des retraités pour supprimer l’impôt des plus riches ? Quand vous vous apprêtez, à la demande de la commission européenne, à s’en prendre à notre système de retraites ? Madame la Ministre, les français ont bien vu que nous ne donnons sans aucun doute pas le même sens à ce beau mot de solidarité.
Vous osez nous parler de la Grèce ? Doit-on vous rappeler que depuis 2010 où vos amis s’occupent de ce pays, il a perdu plus d’1 million d’habitants, dont la moitié sont des jeunes de 20 à 30 ans qui ont fui le pays en quête d’un avenir meilleur. Qu’un emploi sur cinq a été perdu, que le taux de chômage y dépasse les 20%, que les salaires ont baissé de 15%, les pensions de retraites de 40% … et que le nombre de suicides y a augmenté de 35% en huit ans. Que même l’endettement public, qui fut le prétexte aux potions toxiques de la Troika, est passé de 130% du PIB en 2010 à 175% du PIB aujourd’hui. Non Madame la Ministre, faire preuve de solidarité, ce n’est pas détruire une économie au service d’un projet idéologique.
Mais vous n’êtes manifestement pas à une opération d’enfumage près. La révision du régime des travailleurs détachés serait donc, selon vous, l’une des « plus grandes avancées dans le domaine social de ces dernières années » ? Vaste fumisterie. Vous savez très bien que les cotisations sociales des travailleurs détachés restent payées dans le pays d’origine, maintenant intacts le dumping social et la mise en concurrence des travailleurs. La durée des contrats de travail a été diminuée ? Magnifique, mais la durée autorisée reste supérieure à la durée réelle actuelle, ce qui enlève tout impact à cette mesure. Et je ne parle pas ici du secteur routier totalement abandonné alors qu’il est le premier métier exposé, ou de la triche à l’embauche de Français sous contrat de travail détaché qui reste totalement impunie. Bref, vous ne pouviez pas mieux choisir votre exemple pour illustrer la contradiction entre vos propos et la réalité des politiques européennes.
Il s’agit là, sans doute, d’une caractéristique extraordinaire du macronisme de prendre les mots pour en tordre le sens et de pouvoir dire avec aplomb une chose en faisant pourtant le contraire. Mais quand vous prenez l’immigration, l’écologie ou la nécessaire régulation du libre-échange pour défendre l’Europe que nous avons sous les yeux, ne trouvez-vous pas que le procédé atteint ses limites ? Madame la Ministre, avez-vous oublié les accords de coopérations économiques qui pillent les économies du sud et jettent les gens sur les routes ? Avez-vous perdu de vue que les traités européens empêchent toute forme de protectionnisme solidaire pourtant indispensable « dans la compétition économique et commerciale avec la Chine et les Etats-Unis » ? La ratification du CETA par votre majorité à l’Assemblée Nationale vous est-elle sortie de la tête ? Ou peut-être étiez-vous en vacances quand le gouvernement français a cédé à la commission européenne s’inclinant devant Monsanto pour refuser l’interdiction du glyphosate ?
Il est temps de vous dire que vous devriez d’abord vous interroger sur vos propres responsabilités et celles de ceux qui vous ont précédé. En effet, il ne suffit pas de chanter les louanges de « L’Europe qui protège » pour que les français oublient que celle-ci protège aujourd’hui surtout les lobbys et les multinationales. Cet écart entre le discours et le ressenti réel des peuples est pourtant bien à l’origine de leur divorce grandissant avec la construction européenne. Faire entendre un discours critique qui rappelle que, si l’Europe est une belle idée, les traités qui l’organisent sont une grande calamité, c’est proposer une issue positive à l’impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.
Madame la Ministre, en réduisant, pour des raisons politiciennes, le champ politique à ceux qui aiment l’Europe d’un côté, et à ses adversaires de l’autre, vous faites le jeu des réactionnaires en jetant dans leur bras celles et ceux qui souffrent des politiques européennes. Entre ceux qui sont prêt à tout brader pour l’Europe et ceux qui la refusent par essence, il existe pourtant une position raisonnable et sérieuse : celle qui consiste à rompre avec les traités européens pour faire l’Europe, oui, mais sans défaire la France. Vous feriez mieux d’y consacrer votre énergie plutôt que d’écrire de bien mauvaises tribunes.