Au mois de juillet dernier, j’avais dénoncé la méthode de sondage utilisée par l’institut IFOP. Aujourd’hui, c’est l’institut IPSOS qui se livre au même exercice de tripatouillage pour faire disparaître les électeurs populaires des échantillons utilisés dans le calcul des intentions de vote.
A chaque fois, la méthode est la même : on demande aux personnes sondées d’indiquer, sur une note de 1 à 10, quelle est la certitude qu’ils aillent voter pour le premier tour de l’élection présidentielle. Puis on retire de l’échantillon toutes les personnes qui n’affirment par leur intention d’aller voter avec une certitude de 10/10.
Les problèmes d’une telle méthode sont multiples :
– D’abord, les instituts se gardent bien de publier le taux de participation qui correspond à un tel raisonnement. Pourtant, si l’on ne retient que les personnes se disant certaines d’aller voter (10/10 sur cette échelle), alors on obtient une estimation du taux de participation ridiculement basse. Pour le sondage IFOP publié au mois de juillet, cette participation est estimée à 49,7% selon la notice. Pour le sondage IPSOS du jour, cette estimation est de 53%. Cela représente un taux de participation de 25 à 30 points inférieur au premier tour de l’élection présidentielle de 2017. On comprend bien, dès lors, que l’information principale si l’on croit ces sondages devrait être le taux de participation estimée et non pas les intentions de vote qui y correspondent. Mais personne n’en parle !
– De plus, cette estimation de l’abstention est en contradiction avec les informations publiées par les mêmes sondeurs. Ainsi, dans le sondage IFOP publié en juillet, l’institut estime la participation à 49,7%. Mais dans la même enquête (la notice est consultable sur le site de la Commission des Sondages), il est indiqué que 95% des personnes interrogées indiquent qu’elles envisagent d’aller voter : 70% d’entre elles disent d’ailleurs que « c’est tout à fait certain », 23% que « c’est pratiquement certain » et 5% « qu’il y a de grandes chances ». C’est-à-dire que même si on ne retient que les 70% des 95% qui se disent « tout à fait certains » d’aller voter, on aurait une participation estimée à 66,5%, bien au-delà des 49,7% utilisés pour le calcul des intentions de vote.
– Troisièmement, cette méthode introduit un biais sociologique évident. Ainsi, le calcul effectué sur le blog Médiapart de Eliot Thibault sur un précédent sondage IPSOS donne des chiffres édifiants : en ne retenant que les personnes certaines d’aller voter (10/10), on retient 67% des plus de 65 ans mais seulement 40% des personnes âgées de 25 à 34 ans. Par contre si l’on ajoute aussi les personnes quasi-certaines d’aller voter (8/10 et 9/10), alors on obtient 88% des plus de 65 ans et 70% des personnes âgées de 25 à 34 ans. De même, seulement 57% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon en 2017 se disent certaines d’aller voter contre 66% des électeurs de Benoit Hamon. Par contre, si on retient également les « presque certains d’aller voter » (8/10 et 9/10), alors le chiffre monte à 85% chez les électeurs de Mélenchon et à 83% chez les électeurs de Benoit Hamon. Avec cette méthode, on confie donc aux classes supérieures et aux personnes âgées le choix des candidats qui feront des bons sondages. On retrouve là un parfum de vote censitaire.
– Enfin, cette méthode réduit de manière très importante la taille des échantillons. Ainsi, en ne retenant qu’une personne sur deux sur un échantillon de 925 personnes (celui de l’institut IPSOS du 3 septembre), on ne retient que 490 personnes pour calculer les intentions de vote. Pire encore, il faut retirer de cet échantillon les personnes se disant certaines d’aller voter mais n’exprimant pas d’intention de vote (entre 11 et 16% selon les hypothèses). On se retrouve donc à publier un sondage pour l’élection présidentielle en France calculé sur un échantillon d’environ 430 personnes, ce qui est ridiculement bas. Sur un tel échantillon, les marges d’erreur sont de quasiment 3 points pour un candidat dont le score est estimé à 10%.
Bien évidemment, il existe de nombreux autres axes de critique des sondages. Les fondements mathématiques des enquêtes d’opinion, les échantillons utilisés, les méthodes de redressement opaques sont autant de biais dans le calcul des intentions de vote. Mais cette nouvelle méthode introduit une manipulation évidente qui ne peut être tolérée. Elle a une influence considérable sur les intentions de vote affichées. A l’heure où vont se cristalliser les différentes propositions politiques en présence, son impact peut être énorme sur le déroulement de la campagne électorale à venir. C’est la raison pour laquelle nous avons écrit à la Commission des Sondages que nous rencontrerons dans quelques jours pour lui demander de réagir face à la multiplication de ces pratiques inacceptables.