Ce samedi 22 mars, des centaines de milliers de personnes ont défilé partout en France contre le racisme et les idées d’extrême droite. Même le ministère de l’Intérieur, pourtant à la main du sinistre Retailleau, a dû reconnaitre l’ampleur de la mobilisation en annonçant plus de 90 000 personnes dans la rue. Nous étions probablement plutôt 3 fois plus, puisque la manifestation parisienne elle-même aura réuni seule plus de cent mille personnes.
Signe du succès de la journée, les cortèges traditionnels des organisations ont été largement dépassés par une foule de personnes jeunes, métissées, combatives et conscientes de la gravité du moment. Car cette manifestation était la réponse attendue à un contexte oppressant où des groupuscules nazis peuvent parader aux cris de « Paris est nazi », où chaque semaine donne lieu à une nouvelle offensive politique contre les étrangers ou les musulmans, où le salut nazi revient à la mode et où un ministre de l’Intérieur stigmatise des millions de binationaux en engageant une escalade contre l’Algérie au service de ses ambitions politiques nationales.
Immédiatement, pour masquer le succès de la manifestation et pour poursuivre son offensive contre la France insoumise, l’extrême droite et ses relais médiatiques ont multiplié les campagnes de désinformation. Les voilà traquant chaque pancarte pour en trouver une infamante, pour finalement se replier sur une pancarte déployée il y a plusieurs années dans une action du collectif d’extrême droite Némésis. Les voilà cherchant à déformer le sens des slogans pour faire passer un slogan anarchiste finalement assez traditionnel pour un slogan antijuif, malgré les démentis de la presse locale. Les propagandistes de CNEWS s’en sont donné à cœur joie, profitant allégrement de l’impunité dont ils jouissent lorsqu’ils bafouent tous les principes les plus élémentaires de la déontologie.
Cette mauvaise foi signe la hargne de ceux qui ont tout fait pour empêcher le succès de cette manifestation et qui ne digèrent pas leur échec. Car on a assisté dans la préparation de cette manifestation à une offensive d’une violence inouïe à propos d’un visuel d’appel à la manifestation pourtant retiré quelques minutes après avoir été posté. Sur cette seule base, toute la machinerie médiatique se sera mise en mouvement pour salir la mobilisation avec l’objectif évident d’en diminuer l’ampleur. Elle n’y sera pas parvenue. Il faut dire que les dernières campagnes de ce type ont déjà largement atteint la crédibilité médiatique de ceux qui s’y livrent. La meilleure réponse à tous les propagandistes de plateau aura donc finalement été apportée dans la rue. Comme nous le disait hier une manifestante, « plus ils vous détestent, plus on vous aime ».
Il faudra quand même se souvenir de cette séquence si caractéristique du moment fascisant que vit le pays. Toujours, dans l’histoire, l’extrême droite aura misé sur la confusion générale qu’elle ne cesse d’entretenir. Dernier défenseur du capital, le parti fasciste tente toujours de se camoufler sous les habits d’un parti défendant les intérêts du peuple. Alors que son idéologie est basée sur un principe fondateur d’inégalité entre les individus, il tente de s’en défaire par un renversement de culpabilité. Les antiracistes deviennent les racistes et la bataille pour l’égalité est dénoncée comme une bataille pour l’inégalité. Les racismes sont opposés entre eux et quand l’extrême droite en dénonce un, c’est toujours pour en attiser un autre. On sait comment elle a pu changer dans l’histoire de bouc émissaire au gré de ses intérêts. Bien sûr, les soi-disant alliés du moment deviennent vite les ennemis de demain, une fois qu’ils auront bien servi pour la sale besogne. C’est à un de ces moments de confusion auquel nous avons assisté ces derniers jours.
Il est donc particulièrement désastreux de voir qu’une partie de la gauche (syndicale, politique, associative ou médiatique) n’a rien trouvé de plus intelligent à faire que de venir cotiser à ces polémiques infamantes. Car s’il est une chose de reprocher, en camarade, une maladresse, il en est une autre de venir joindre sa voix aux procès en antisémitisme. Où est passée la solidarité minimale à laquelle devrait normalement s’astreindre le camp antifasciste ? A-t-elle définitivement disparu derrière les motivations politiciennes de dirigeants si peu à la hauteur de l’histoire qu’ils ont vu ici une opportunité pour leur bataille contre la France insoumise ?
En vérité, il y avait surtout ici de la lâcheté et de la faiblesse. Et c’est finalement bien plus inquiétant. Sinon, comment comprendre qu’il aura fallu cinq jours de polémiques pour que ces âmes indignées se décident enfin à réagir ? Cette dynamique des digues qui cèdent les unes après les autres face à la violence de la charge fasciste est, lui aussi malheureusement, un scénario bien connu de l’histoire. On se rappelle de la citation du pasteur allemand Niemöller : « Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester ». Heureusement que les insoumis ont fait preuve de davantage de courage et de solidarité lorsque des syndicalistes de la CGT ont été injustement poursuivis ou convoqués devant les tribunaux en raison de leur action syndicale ou pour leur solidarité avec le peuple palestinien.
Dans ce contexte, il faut saluer tous les collectifs et toutes les organisations (qu’elles soient syndicales, associatives ou politiques) qui ont refusé de hurler avec les loups et qui ont contribué à la réussite de la mobilisation. Il faut remercier les militants insoumis qui, partout, ont pris une part centrale dans la préparation de ce rendez-vous, distribuant près d’un million de tract en 10 jours. Car on notera que le volume des cotisations médiatiques aura été inversement proportionnel au niveau d’engagement réel pour le succès de la manifestation. L’ampleur des cortèges de chacun tout comme le niveau de déploiement militant dans la préparation de l’évènement en attestent.
Dans la série des tireurs dans le dos, Olivier Faure aura donc trouvé un moment pour venir jeter quelques anathèmes contre la France insoumise et Jean-Luc Mélenchon. Mais il n’en aura pas trouvé pour venir manifester à Toulouse où il se trouvait. Fabien Roussel aura consacré quelques minutes à partager un faux visuel de la France insoumise sur les réseaux sociaux. Mais il n’avait pas jugé utile précédemment d’appeler à rejoindre cette manifestation. Et que dire des déclarations de Marine Tondelier qui n’aura rien trouvé de mieux à faire, pour défendre sa participation à la manifestation, que de la comparer à la marche contre l’antisémitisme d’il y a 18 mois, expliquant que si elle avait pu marcher avec le Rassemblement National, elle pouvait bien le faire avec la France insoumise. On attend toujours les protestations indignées de ceux qui nous ont reproché de mettre le PS et le RN sur le même plan au moment de leur refus commun de ne pas voter la censure.
Et puisque ces personnes ont voulu nous donner quelques leçons de culture et d’histoire, il est utile de rappeler que l’histoire nous enseigne précisément que c’est ce mélange de petites lâchetés et de combines politiciennes irresponsables qui pavent le chemin à l’extrême droite. Car quels que soient les désaccords politiques ou les ruptures stratégiques, il y a normalement à gauche un principe élémentaire : faire bloc face aux fascistes. Et c’est ce principe qui est aujourd’hui remis en question. Mais heureusement, la gauche des communiqués et des pseudo-indignations médiatiques n’a aujourd’hui quasiment aucun impact sur le réel. Rien de tout ça n’aura donc finalement pu empêcher la réussite du moment de riposte populaire auquel nous avons assisté.
Car si elle n’est évidemment qu’une étape, cette journée de mobilisation aura été décisive pour l’avenir. En effet, les mois qui viennent pourraient bien être l’occasion d’un nouveau bras de fer social. La stratégie du choc déployé depuis les appels à la patrie du président de la République est une déclaration de guerre sociale. Déjà, François Bayrou y a puisé le prétexte qu’il attendait pour sonner la fin du conclave, roulant dans la farine un Parti socialiste qui n’y croyait sans doute pas lui-même. Pourquoi ne pas le faire après tout puisque les dirigeants du PS ont montré eux-mêmes le peu de considération que l’on pouvait avoir pour leurs fameuses lignes rouges ? N’avaient-ils pas promis d’ailleurs qu’ils déposeraient eux-mêmes une motion de censure si le conclave devait être entravé ? Mais les voilà désormais multipliant les « peut-être » et les « bientôt » pour ne surtout pas faire ce qu’ils s’étaient engagés à faire, trop préoccupés par un congrès interne qui les anesthésiera encore pendant plusieurs mois.
Dans cette situation, notre objectif est de faire grandir un mouvement d’unité populaire. Chaque mobilisation y contribue. Contre le racisme et le fascisme. Pour faire face au changement climatique plutôt que la course à la guerre. Pour une économie des besoins, à même de répondre aux exigences sociales du pays, plutôt qu’une économie de guerre au service des dividendes de l’industrie d’armement. Pour le droit international plutôt que la loi du plus fort, en Ukraine comme à Gaza ou en République Démocratique du Congo. C’est autour de principes clairs et concrets que doit se construire l’alternative dont ce pays à besoin. Une alternative de rupture, loin des compromis pourris qui mènent la gauche à la déroute. Une alternative radicale, mêlant les combats sociaux, écologiques, démocratiques, féministes et antiracistes. Une alternative permettant au pays de retrouver demain le goût du futur.