L’examen de la réforme des retraites s’est donc achevé ce vendredi soir à l’Assemblée nationale. Il aura duré à peine 4 journées complètes réparties sur 9 jours. En effet, le gouvernement a choisi d’imposer l’utilisation de l’article 47-1 de la Constitution pour limiter le temps des discussions. On a donc assisté à un cadenassage inédit du débat parlementaire : jamais une réforme d’une telle importance n’aura été examinée à l’Assemblée nationale dans de telles conditions.
En vérité, confronté à une mobilisation d’une puissance inédite en France depuis plus de 30 ans, le gouvernement voulait plier le match en quelques jours à l’Assemblée Nationale. Un vote en faveur du projet de loi ou, à minima, en faveur de l’article 7 (qui entérine le report de l’âge de départ à la retraite) était son objectif. Il permettait de donner à une réforme rejetée par plus de 70% des français une apparence de légitimité. L’objectif ? Semer le doute, démobiliser l’opposition à ce projet et espérer ainsi tuer dans l’œuf le blocage du pays programmé à partir du 7 mars.
La NUPES était son seul obstacle sur ce chemin. En ne déposant pas plus que quelques dizaines d’amendement, le Rassemblement national avait abandonné la bataille avant même qu’elle n’ait commencé. Il est d’ailleurs sidérant d’observer à quel point Marine Le Pen aura servi d’allié constant du macronisme dans ce combat. Le dépôt par son groupe d’une motion de censure après 10 jours de sommeil profond n’en aura été qu’une démonstration supplémentaire. Car tout le monde savait qu’elle n’avait aucune chance d’être votée. Dès lors, en lui offrant une victoire sur un plateau, Marine Le Pen ouvrait une porte de sortie parfaite à un gouvernement incapable de faire adopter son projet de loi. Il n’était pas question pour nous de lui faire un tel cadeau.
Pour aller au bout de son scénario, le gouvernement devait donc faire rentrer la NUPES dans le cadre contraint de ce débat en la poussant à retirer ses amendements. Pour y parvenir, il a instrumentalisé les déclarations de certains dirigeants syndicaux qui, croyant voir à l’Assemblée nationale une opportunité de battre les macronistes, ont pris position sur la stratégie parlementaire. On pourrait se satisfaire de voir se clore la période dans laquelle les manifestations et la grève étaient l’apanage des syndicats et l’action parlementaire celui des partis (ou mouvements) politiques. Mais formons le voeu que l’action des uns et des autres puisse s’articuler davantage à l’avenir afin d’éviter les pièges du pouvoir en place.
Car pour notre part, nous ne partagions pas cet optimisme. Nous considérions que le gouvernement avait gardé suffisamment de cartes en main pour se garantir une victoire ou, à minima, une absence de défaite. Une d’entre elles est d’ailleurs apparue au grand jour à quelques minutes de la fin des travaux. Poussé dans ses retranchements par l’action conjointe des insoumis et du député Aurélien Pradié, le ministre Dussopt a annoncé reprendre à son compte un amendement déposé par le groupe des Républicains sur les carrières longues. Il s’agissait pour lui de réduire encore le front des députés LR prêts à voter contre la réforme. Et peu importe si cet amendement initialement chiffré par le gouvernement à 10 milliards d’euros mettait en cause la sincérité financière de la loi toute entière.
Il fallait donc tenir bon et ne pas tomber dans les intox qui ont fleuri tout au long de la semaine. Ainsi, on parlait de députés macronistes absents le vendredi pour éviter d’avoir à voter en faveur de la réforme. Ou d’une liste de plus de 25 républicains prêts à voter contre la réforme. Ou d’un gouvernement qui voulait faire gagner du temps. Ces illusions naïves se sont dissipées peu à peu. Les macronistes étaient finalement au complet. Les députés LR opposés à la réforme n’excédaient pas une quinzaine et la reprise en main autoritaire du débat par la présidente LREM de l’Assemblée Nationale était un signal clair de la volonté gouvernementale de reprendre le contrôle des horloges. Mais elles auront conduit les députés écologistes d’abord, puis les députés socialistes et communistes à retirer l’ensemble de leurs amendements.
Dès lors, il ne restait plus dans la dernière ligne droite que les députés insoumis pour bloquer le passage en force macroniste, défendre des amendements et pousser le gouvernement dans ses retranchements. Cette stratégie a produit des résultats.
Elle a permis par exemple de s’engouffrer dans la brèche ouverte par l’économiste Mickaël Zemmour à propos de la retraite minimum à 1200 euros. Nous avons acculé le ministre Dussopt sur ses mensonges à ce sujet et il a du reconnaitre que toutes les personnes qui partiront à la retraite ne pourront pas bénéficier de cette retraite minimum. Pilonné par les députés de la NUPES, il a finalement dû fournir un chiffre de 5% de bénéficiaires parmi les retraités. Mais ce chiffre n’a été confirmé par aucun organe officiel et le ministre n’a pas été capable d’en indiquer la provenance. Encore un mensonge ?
Sur un autre sujet, nous avons pu démontrer l’absurdité des propositions actuelles sur les carrières longues. Elles conduisent à ce qu’une personne ayant commencé à travailler à 17 ans cotise 43 annuités alors qu’une personne ayant commencé à travailler à 16 ans en cotise 44. Nous avons également mis en lumière l’impact désastreux de cette réforme pour les femmes et fait la démonstration qu’un report de l’âge de départ à la retraite aura comme conséquence une baisse des salaires et une augmentation du chômage.
Bref, à l’issue d’une bataille parlementaire intense, une première victoire a été remportée : le texte n’a pas été adopté à l’Assemblée nationale et ne dispose d’aucune légitimité. Son retrait est donc plus que jamais à l’ordre du jour. Face aux millions de manifestants dans les rues, le gouvernement fait la sourde oreille. Il faut donc crier encore plus fort en s’engageant sur la voie du blocage du pays. C’est l’objectif que s’est fixé l’intersyndicale à partir du 7 mars. Nous le soutenons totalement. Contribuer à sa réussite est désormais notre seul objectif.