Tribune initialement publiée dans Reporterre.
La poussière de la COP26 retombe à peine et déjà un nouvel accord climaticide et écocide à plus de 270 milliards d’euros s’apprête à être mis aux voix mardi 23 novembre au Parlement européen : la réforme de la politique agricole commune (PAC). Celle-ci nous engagera jusqu’en 2027. C’est aujourd’hui la responsabilité du Parlement européen de la rejeter pour la remettre à plat.
Cette prétendue « réforme » — car il s’agit principalement de continuer comme avant — est un désastre, une honte et une trahison. Un désastre pour la planète, pour les agriculteurs et agricultrices, pour les animaux et pour chacun·e de nous. Une honte au regard de nos connaissances scientifiques et des urgences de la décennie. Une trahison pour l’agriculture écologique et paysanne laissée à l’abandon. Une trahison enfin pour les aspirations clairement exprimées des citoyen·nes, pour qui juste rémunération des paysan·nes, préservation de l’environnement et du bien-être animal, alimentation saine et locale constituaient les priorités.
Dotée de plus d’un tiers du budget de l’Union européenne, la PAC structure aujourd’hui l’ensemble du système agricole et alimentaire européen. C’est un levier politique immense. Nous parlons de centaines de milliards d’euros issus des impôts du contribuable. De notre argent. Et il est massivement détourné au profit des lobbys agro-industriels.
Le modèle agricole et alimentaire dans lequel ces lobbys nous enferment est responsable de plus d’un cinquième des émissions de gaz à effet de serre de la France. Il est la première cause de l’effondrement de la biodiversité dont nous avons besoin pour vivre et nous nourrir. Il pollue nos biens communs : l’air, l’eau et les sols. Il est à l’origine de la disparition massive et silencieuse des agriculteurs sans qui aucune transition agroécologique n’est possible : plus de quatre millions de fermes – une sur quatre – ont disparu dans l’Union européenne ces dix dernières années.
Pour quel résultat ? 30 % de la production agricole gaspillée dans le monde, la souffrance animale banalisée et huit millions de Français·es qui dépendent de l’aide alimentaire pour vivre.
Il y a urgence pour la biodiversité : nous vivons la sixième extinction de masse
Par son caractère structurant, la PAC est comptable de ce bilan accablant. Les derniers rapports de la Cour des comptes européenne sur la période 2014-2020 ne disent d’ailleurs pas autre chose : malgré 100 milliards de la PAC prétendument consacrés à l’« action climatique », les émissions de l’agriculture n’ont pas diminué depuis plus de dix ans. Malgré 66 milliards prétendument consacrés à la biodiversité, la PAC n’a pas permis d’enrayer son déclin sur les terres agricoles. Et les 12 milliards d’euros par an consacrés à un nouveau programme prétendument écologique — « le paiement vert » — n’ont entraîné de changements de pratiques que sur 5 % des surfaces agricoles de l’UE.
Il y a urgence à sortir de l’impasse agro-industrielle. Pour le climat, tout va se jouer dans la décennie qui vient. Il y a urgence pour la biodiversité : nous vivons la sixième extinction de masse ; une espèce sur huit est menacée d’extinction dans les prochaines décennies. Il y a urgence pour les agriculteurs : en France près de 40 % des agriculteurs et agricultrices ont plus de 55 ans et partiront à la retraite d’ici à 2030 ; et un seul départ sur trois est remplacé. Il y a urgence pour tous les animaux qui vivent des souffrances inacceptables dues à l’élevage industriel. Il y a urgence pour tous les citoyen·nes à pouvoir accéder à une alimentation saine et suffisante.
Une transformation radicale de la PAC s’imposait. C’est ce pour quoi nous nous battons sans relâche depuis plus de deux ans, organisant des consultations avec la société civile comme les Assises de la PAC, déposant des centaines d’amendements, participant à des mobilisations de terrain. Nous avons besoin d’une révolution agroécologique, de répartir les subventions de façon juste, de réguler les marchés pour que les agriculteurs retrouvent du prix, d’assurer le bien-être des animaux, de démocratiser et végétaliser notre alimentation afin de nourrir l’ensemble de la population de façon saine et de garantir notre souveraineté alimentaire.
Les subventions sont toujours distribuées à la quantité d’animaux produits
Au lieu de quoi la réforme de la PAC soumise au vote ce mardi se contente de passer un coup de peinture verte sur son ancienne mouture. Elle ne fixe ni objectifs suffisamment précis, ni contraintes suffisantes. Les subventions sont toujours principalement distribuées à l’hectare ou à la quantité d’animaux produits et non en fonction de la qualité de l’exploitation ou de son intensivité en travail. Comble d’iniquité, le montant des aides aux plus grandes exploitations est potentiellement illimité alors que le paiement forfaitaire pour les petits agriculteurs est rigoureusement plafonné à un montant dérisoire : 1 250 euros par an.
La réforme laisse de grandes marges de manœuvre aux États membres qui doivent chacun élaborer des plans stratégiques nationaux (PSN). Ces PSN sont des déclinaisons nationales de la réforme de la PAC. Faut-il une preuve supplémentaire de son échec ? Elle est justement à trouver dans les plans stratégiques nationaux des États membres. L’Autorité environnementale française a ainsi rendu un avis cinglant au mois d’octobre, jugeant que le PSN de la France n’est pas à la hauteur de ses engagements environnementaux.
Il n’est pas question de laisser les responsables de ce désastre échapper à leurs responsabilités. Ils sont connus : d’une part la Commission européenne, responsable d’une proposition législative initiale affligeante en 2018 et qui n’a jamais accepté de revoir sa copie. D’autre part la droite du Parlement européen, en faillite, du groupe La République en marche jusqu’au Rassemblement national en passant par Les Républicains. Enfin, la médaille de la nuisance revient incontestablement aux gouvernements des États membres, parmi lesquels le gouvernement Macron, représenté par le ministre Julien Denormandie, a joué un rôle singulièrement néfaste. Commission, droite du Parlement européen, gouvernements des États membres ensemble, ils tiennent depuis trois ans les rênes de la réforme et l’ont offerte aux lobbys agro-industriels.
Nous ne disons pas que tout est à jeter. Ainsi, la création de la conditionnalité sociale [1]La conditionnalité sociale permettra de sanctionner sur une partie de leurs subventions les bénéficiaires d’aides de la PAC qui enfreignent certaines dispositions du droit du travail. ou l’obligation de cohérence avec la législation climatique et environnementale de l’UE constituent, avec leurs limites, des avancées intéressantes. Mais nous disons que ceux qui prétendent vendre au grand public « une PAC plus verte et plus juste » cherchent à faire passer des sauts de puce incohérents pour la transformation de fond dont nous avons besoin. Et que pour l’essentiel, le calamiteux statu quo et la fuite en avant se poursuivent.
Mardi 23 novembre prochain, lors du vote, nous rejetterons donc la réforme de la politique agricole commune. Cependant, pour l’heure, aucune majorité en faveur du rejet ne se dessine. Jusqu’au vote, nous en appelons à la mobilisation citoyenne. Elle avait été efficace l’année dernière ; elle est seule à même de mettre la pression nécessaire sur les député·es qui s’abritent aujourd’hui derrière l’opacité du sujet pour mieux voter en faveur d’une réforme qui nous envoie indubitablement dans le mur.
References
↑1 | La conditionnalité sociale permettra de sanctionner sur une partie de leurs subventions les bénéficiaires d’aides de la PAC qui enfreignent certaines dispositions du droit du travail. |
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