Tabac : les coupables sont à l’intérieur !

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Tabac : les coupables sont à l’intérieur !

Le tabac est indéniablement l’une des plus grandes plaies affectant la santé publique mondiale. Le tabac est ainsi la première cause évitable de mortalité par cancer : la consommation de tabac tue 75 000 personnes chaque année en France, 700 000 en Europe, et plus de 8 millions dans le monde. Parmi ces plus de 8 millions, plus de 7 millions sont des consommateurs et d’anciens consommateurs tandis que 1,2 million sont des non-fumeurs exposés involontairement à la fumée. Tous les ans, ce sont 65 000 enfants qui meurent de maladies causées par le tabagisme passif. La consommation de tabac est responsable de la mort prématurée de la moitié de ceux qui en fument. Cette mortalité prématurée fait perdre entre 18 et 20 ans d’années de vie. Dans l’ensemble, un décès d’adulte sur huit est lié au tabac tandis que le tabagisme est responsable d’une mort toutes les six secondes.

Un fléau marqué socialement

Derrière cette terrible réalité statistique, il ne faut pas oublier que la consommation du tabac n’est pas uniformément répandue dans la population. Ce sont les classes populaires qui souffrent le plus des effets du tabac.

Ainsi, en France, « en 2018, il existe donc toujours des différences significatives selon le niveau de revenu : plus le revenu augmente, moins la prévalence du tabagisme quotidien est élevée. Enfin, en 2018, la prévalence du tabagisme quotidien est maximale parmi les chômeurs (39,9%), minimale parmi les étudiants (19,5%) et intermédiaire parmi les actifs occupés (28,0%). La tendance française se confirme au niveau mondial puisque sur les 1,1 milliard de fumeurs à l’échelle de la planète, ce sont près de 80% qui vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire, alors même que c’est dans ces pays que la charge de morbidité (nombre d’années perdues à cause d’une mortalité prématurée ou d’années vécues en mauvaise santé) et la mortalité liée au tabac sont les plus lourdes.

Maladie sociale affectant les plus pauvres, le tabagisme est un facteur aggravant de la pauvreté : il détourne vers les produits du tabac une partie des revenus qui auraient pu être consacrés à des besoins fondamentaux. Plus généralement, comme le remarque l’OMS, « non seulement le tabac appauvrit ses consommateurs, mais il représente aussi une énorme charge financière pour les pays. Le coût du tabagisme à l’échelon national revêt plusieurs facettes : augmentation des frais de soins de santé, perte de productivité due à la maladie et à la mort prématurée, pertes de devises et dégâts sur l’environnement. ».

La responsabilité de l’industrie du tabac

Face à ce fléau, les pouvoirs publics ont initié un certain nombre de campagnes qui s’appuient sur les appels à la responsabilisation du consommateur. Ainsi, on multiplie les initiatives de communication, on augmente fortement le prix du paquet de cigarettes et on appose sur les paquets des images choc pour dissuader les fumeurs. Si ces initiatives peuvent parfois avoir une efficacité, elles ont tendance à occulter totalement la responsabilité de l’industrie du tabac dans cette situation. Elles font porter intégralement la responsabilité de la consommation de tabac sur les fumeurs, sans analyser les stratégies d’accoutumance qui sont mises en place par des industriels guidés exclusivement par un intérêt financier.

Ceux-ci ont des noms bien connus : Philip Morris International ; British American Tobacco ; Seita Imperial Tobacco ; Japan Tobacco International. Leurs profits gigantesques s’appuient sur une stratégie que les pouvoirs publics renoncent bien souvent à combattre. Celle-ci est d’abord basée sur une communication extrêmement puissante. A travers la publicité, le tabac s’incorpore au plus profond de nous-mêmes dès le plus jeune âge. La pieuvre publicitaire a envahi l’ensemble de notre quotidien, façonne nos goûts, nos désirs, nos aspirations, notre imaginaire.

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a bien analysé ce phénomène. Elle indique ainsi que « la publicité en faveur du tabac, la promotion et le parrainage font augmenter et maintiennent le tabagisme en permettant de recruter de nouveaux consommateurs de tabac et en dissuadant les consommateurs actuels de s’arrêter. » L’empire publicitaire du tabac se porte d’ailleurs fort bien : seuls 48 pays (dont la France), comptabilisant 18% de la population mondiale, ont interdit toute forme de publicité en faveur du tabac. Toujours selon l’OMS, l’industrie du tabac dépense donc plus de 8 milliards de dollars par an en marketing et en publicité.

La jeunesse comme cible prioritaire

La publicité du tabac ne fait pas que consolider l’assise présente de cette consommation. Comme toute industrie en régime capitaliste, son principal objectif est d’assurer la reproduction de sa base consommatrice en ciblant et façonnant ses futurs consommateurs : les plus jeunes. Comme le dit de manière assez crue l’OMS, « si votre produit tuait 8 millions de personnes chaque année, vous chercheriez aussi une nouvelle génération de clients. ».

Les jeunes générations sont une cible privilégiée parce qu’elles sont la promesse de consommateurs installés en situation de dépendance pendant de nombreuses années : neuf fumeurs sur dix ont commencé à fumer avant l’âge de 18 ans, tandis qu’à l’heure actuelle ce sont environ 40 millions de jeunes âgés de 13 à 15 ans qui ont déjà commencé à fumer. Ainsi, l’industrie du tabac attire les plus jeunes en déployant une stratégie centrée sur l’investissement des plateformes numériques et des réseaux sociaux. À titre d’exemple, entre 2007 et 2016, une étude a recensé un peu plus de 100 hashtags associés aux fabricants de tabac et qui ont été vus plus de 25 milliards de fois dans le monde.

L’arme des nouveaux produits du tabac

Mais la stratégie de communication des industriels du tabac contient des éléments encore plus pernicieux. Ainsi, ces dernières années, conscients du risque sur ses marchés que font peser les révélations de l’impact du tabac sur la santé humaine, ils cherchent à détourner cette préoccupation à leurs profits.

C’est le sens de toutes les campagnes de promotion autour des nouveaux produits du tabac, comme le tabac chauffé ou les cigarettes électroniques. Il ne s’agit pas ici de statuer sur la dangerosité comparée de ces produits, ce qui nécessiterait un recul scientifique que nous n’avons pas aujourd’hui. Mais il est évident que, moins dangereux ou non que la cigarette, les nouveaux produits du tabac ont également un impact négatif sur la santé. C’est le sens des travaux menés par l’OMS qui a établi leur caractère « incontestablement nocif ». Dès lors, l’indécence est totale quand les industriels du tabac utilisent ces nouveaux produits pour se dépeindre comme agissant dans le sens de la santé publique alors qu’ils assoient leurs profits sur la destruction de la santé de ses consommateurs. C’est ainsi que le PDG de Philip Morris International, qui doit sa fortune à des paquets de cigarettes vendus par milliers, a pu déclarer qu’il souhaite voir advenir « un monde sans fumée ».

Outre cette exercice de « pompiers pyromanes », l’arrivée des nouveaux produits du tabac permet d’atteindre le stade ultime du ciblage et de l’individualisation du consommateur : avec 15 000 arômes différents proposés, ces produits suscitent la promesse d’une personnalisation infinie, et renforcent et perpétuent des goûts déjà instillés. Ainsi, comme le relève l’OMS, la plupart des goûts proposés, qui incluent les bubble gums ou les bonbons, ont déjà été fermement installés par l’industrie agro-alimentaire sur le palais des jeunes gens. Cette indécence n’est pas nouvelle : déjà, la généralisation des filtres fut présentée comme une mesure allant dans le sens de la santé publique, alors qu’elle fut en réalité exclusivement guidée par des objectifs marketing. Les bienfaits sur la santé furent nuls ; en revanche, les méfaits pour l’environnement furent eux bien réels (les filtres étant constitués de matières qui se dégradent difficilement).

L’impact du tabac sur l’environnement

En effet, les filtres et les mégots qu’ils génèrent sont une source de pollution majeure. C’est peut être un des exemples parmi les plus emblématiques de notre civilisation du déchet. Ainsi, selon le rapport de l’OMS sur l’impact environnemental du tabac, « les déchets du tabac sont, en nombre, le type de déchet le plus répandu dans le monde. Jusqu’à 10 milliards des 15 milliards de cigarettes vendues chaque jour sont jetées dans l’environnement. Les mégots de cigarette représentent 30 à 40 % des articles ramassés lors du nettoyage des côtes ou des villes. ». L’ONG américaine Ocean Conservancy confirme pour sa part que les mégots de cigarette arrivent en tête des dix éléments les plus ramassés lors des opérations internationales de nettoyage des plages.

Comment pourrait-il en être autrement au regard de l’ampleur de la consommation mondiale de tabac ? Ce sont en effet environ 6 000 milliards de cigarettes qui sont fabriquées et vendues dans le monde chaque année, dont 90% disposent d’un filtre ; en d’autres termes, il y a potentiellement 5 400 milliards de mégots qui sont jetés dans la nature tous les ans. Un seul mégot met douze ans à disparaître et contient en moyenne près de 4 000 substances chimiques. Pour chaque mégot qui finit dans les océans et les rivières, ce sont 500 litres d’eau (ou 1 m3 de neige) qui sont pollués. La consommation de tabac n’est donc pas qu’un fléau social, c’est également, et comme souvent d’ailleurs, un fléau environnemental. Mais ce fléau environnemental ne s’arrête pas là.

Le tabac, cause majeure de déforestation et de pollution

Évidemment, la consommation de tabac est indissociable de son processus de production. Or, les conditions de production du tabac sont tout aussi désastreuses sur les plans écologique et social que sa consommation, bien que souvent occultées dans les pays occidentaux. Ainsi, l’industrie du tabac est une des principales causes de déforestation dans le monde : avec 5,3 millions d’hectares de terres arables nécessaires, la culture du tabac est directement responsable de 5% de la déforestation dans les pays en voie de développement (soit l’équivalent de 20 à 50 millions d’arbres).

La fabrication du papier à cigarette et des filtres est également une grande consommatrice d’arbres. Au total, d’après une étude de Peter Taylor, la production mondiale de cigarettes nécessiterait annuellement 60 millions d’arbres. Évidemment, certains pays sont plus affectés que d’autres, notamment les pays africains. Ainsi, comme le relève l’OMS, «dans la partie septentrionale de l’Afrique dans son ensemble, plus de 1400 kilomètres carrés de terrains boisés indigènes disparaissent chaque année pour servir de combustible pour le séchage du tabac, ce qui correspond à 12 % de la déforestation annuelle totale dans la région ».

Dans certains pays africains, la situation est encore plus dramatique, comme par exemple au Malawi où « près de 80 % des arbres coupés sont utilisés pour le tabac ». Outre la forêt, la production du tabac augmente aussi la pression sur la ressource en eau et les risques de pollution. Ainsi, la production, et notamment la culture, de tabac nécessite 22 000 milliards de litres d’eau par an tandis qu’elle génère 84 millions de tonnes d’équivalent CO2. La culture du tabac requiert également un usage très important de pesticides avec des effets mortifères pour la biodiversité et les personnes qui travaillent dans les plantations.

L’exploitation humaine et la culture du tabac

Car l’industrie du tabac est aussi une formidable entreprise d’exploitation humaine. Elle repose pour sa production sur l’exploitation des populations pauvres des pays en voie de développement, notamment en Afrique ou en Asie. Les rémunérations de misère empêchent toute progression sociale : les enfants des travailleurs des plantations sont souvent sollicités dès le plus jeune âge, empêchant leur scolarisation et compromettant durablement tout chance d’ascension sociale. Ils travaillent sans protection sous un soleil harassant, augmentant ainsi drastiquement les risques de futurs cancers de la peau. Ils sont également directement exposés à l’absorption de nicotine via la peau : les enfants souffrent ainsi de nausées, de vomissements, de maux de tête et de troubles du sommeil. Enfin, comme évoqué plus haut, les enfants sont envoyés dans des champs où la concentration de pesticides est particulièrement élevée.

Il est difficile de connaître précisément le nombre d’enfants qui sont exploités dans la culture du tabac, mais selon le docteur Vera da Costa e Silva, cheffe du Secrétariat de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, ce sont 1,3 million d’enfants qui sont concernés. Ce cycle d’exploitation et de pauvreté ne fera qu’aller croissant puisque la destruction de l’environnement, et notamment l’érosion des sols générée par la culture du tabac, sera un facteur majeur de paupérisation des populations locales. Cette exploitation prédatrice des hommes et de l’environnement n’a qu’une seule finalité : le profit qui est organisé par le système de distribution et de commercialisation des produits du tabac, autrement dit le système d’échange.

Les industriels et le commerce illicite du tabac

Il est évident que la consommation et la production du tabac sont intrinsèquement liées ; elles sont les deux parties d’un même processus global, mises en cohérence par un tiers terme : l’échange. Il y a donc également un mode d’organisation de la commercialisation et de l’échange des produits du tabac en vue de leur consommation. Il y a évidemment l’échange officiel qui est dominé par les quatre majors du tabac. Mais le capitalisme vit toujours du contournement des règles visant à le contrôler, et de l’organisation d’un système d’échange et de profit parallèle.

La mise en place d’un système généralisé de contournement est d’ailleurs une composante essentielle du processus d’accumulation. L’industrie du tabac n’est en rien différente des autres industries. Ainsi, l’industrie du tabac est directement à l’origine de l’organisation du commerce illicite du tabac. Le commerce illicite du tabac concerne un paquet de cigarette sur dix d’après les données de la Banque mondiale, et d’après une étude de l’université de Bath ce commerce est organisé à hauteur de 60 à 70 % par les quatre grands cigarettiers. Les techniques employées par les quatre majors du tabac sont bien rodées. Ainsi, l’OCCRP a récemment publié un article sur la manière dont les cigarettiers s’y prennent pour organiser le commerce illicite du tabac. L’article se concentre sur le cas pakistanais. Il s’intitule « Pakistan’s Big Tobacco Problem » et démontre comment Philip Morris déclare des machines à fabriquer les cigarettes comme étant bonnes pour être « mises au rebut » et en profite ainsi pour équiper des ateliers clandestins. Autre exemple : d’anciens employés de la Japan Tobacco International (JTI) n’hésitent pas à parler d’une « contrebande rampante » sciemment organisée dans les Balkans, en Russie et au Proche et Moyen-Orient.

De prime abord cela pourrait sembler incompréhensible : pourquoi donc les quatre majors organiseraient elles-mêmes le détournement de leur production ? C’est en réalité assez simple : puisque le tabac est un produit taxé, souvent assez fortement, les entreprises peuvent organiser la contrebande pour éviter de payer les différentes taxes afférentes (droits de douane ou autres formes de taxation). De plus, le tabac de contrebande, puisqu’il échappe à la fiscalité, est beaucoup moins cher à l’achat. Ainsi, il dope les ventes des quatre principaux cigarettiers. Les jeunes et tout particulièrement les enfants sont les plus touchés, puisqu’ils sont souvent les plus sensibles à une baisse du prix d’achat des cigarettes au vu de leurs faibles revenus.

Plusieurs documents internes des quatre majors prouvent qu’elles savent que l’approvisionnement en tabac illicite, et donc bon marché, est nécessaire pour que les jeunes puissent financièrement se permettre de fumer. Si les Etats voient des revenus conséquents échapper à leurs recettes fiscales, ce n’est pas le cas des industriels du tabac qui conservent le même taux de profit entre une cigarette vendue de manière officielle et une cigarette vendue de manière illicite. Pour les Etats, par contre, la facture est importante. Ainsi, il est estimé que les pertes générées par le commerce illicite du tabac s’élèvent à 40 milliards d’euros par an dans le monde. Ce manque à gagner fiscal s’élèverait à 3 milliards d’euros par an pour la France, et à 17 milliards d’euros pour l’ensemble de l’Union européenne.

Les cigarettiers, champions de l’évasion fiscale

A ces pertes s’ajoutent celles dues aux stratégies d’optimisation fiscale largement pratiquées par les industriels du tabac. Ainsi, les cigarettiers ont recours à des filiales installées dans des pays avec un taux d’imposition extrêmement faible.

Par exemple, les cigarettes destinées au marché français passent généralement par des filiales installées aux Pays-Bas. Le montant des bénéfices détournés n’est pas connu avec certitude. Les dernières estimations dont nous disposons datent en effet de 2013 : après le scandale du déjeuner dit « de Chez Françoise », la publication de ses bénéfices par la filiale française de British American Tobacco et sa comparaison avec le montant payé au titre de l’impôt sur les sociétés avait permis d’estimer à environ un milliard d’euros par an le montant de l’optimisation fiscale des quatre cigarettiers installés en France. Par comparaison, les cigarettiers ne payent que quelques millions d’euros d’imports sur les sociétés en France. Plus généralement, les recettes fiscales liées au tabac (16 milliards d’euros/an en France par exemple) sont aujourd’hui extrêmement faibles au regard de son coût social (130 milliards d’euros/an en France selon l’économiste Pierre Kopp), laissé à la charge des contribuables (ce qui correspond à un impôt indirect d’environ 1 800 € par an et par Français, non-fumeurs pour 70 à 80 % d’entre eux).

L’Union européenne et le commerce illicite du tabac

La puissance publique serait-elle donc impuissante face à l’industrie du tabac ? Non, évidemment. Tout est question de volonté politique. Prenons un seul exemple : la lutte contre le commerce illicite du tabac. Il existe un cadre légal international sur ce sujet, élaboré par l’OMS qui mène un travail remarquable en la matière. Une Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (notamment son article 15 en ce qui concerne la lutte contre le commerce illicite) a été mise en place, ainsi qu’un Protocole visant à éliminer le commerce illicite de produits du tabac. Mais ce cadre, en dépit de sa ratification par plusieurs États, n’est pas réellement appliqué.

A titre d’exemple, l’Union européenne organise la traçabilité des produits du tabac sur son territoire par le biais de la directive 2014/40/UE, dite directive tabac, qui est entrée en vigueur en 2016, au moment où l’Union européenne a officiellement ratifié le protocole additionnel. Cette directive, qui est sans nul doute le dossier le plus lobbyisé de l’histoire européenne, a été proposée par la Commission européenne au motif que le protocole de l’OMS ne serait pas applicable faute d’un nombre suffisant de ratifications. Chou blanc pour la Commission, le Protocole a été ratifié par plus de 40 pays, sécurisant ainsi son entrée en vigueur. Le sytème mis en place par la Commission européenne se distingue par le fait qu’il est sans doute l’unique système au monde où les contrôlés sont également les contrôleurs.  Ainsi, si la directive prévoit un code d’identification pour chaque conditionnement de cigarettes, il n’est pas prévu qu’un organisme tiers indépendant contrôle ou assure directement l’apposition de ces codes d’identification dans les usines des fabricants.

Pire, les bases de données qui collectent les informations sur les mouvements des produits sont gérées par des entreprises faussement indépendantes puisqu’elles sont désignées par les cigarettiers qui sont organiquement liés avec elles. Ainsi, le système Codentify, destiné à la vérification de l’authenticité des produits du tabac et le contrôle tout au long de la chaîne d’approvisionnement, a été développé par… Philip Morris, qui l’a cédé gratuitement en 2010 aux trois autres majors. Depuis sa création, le système Codentify a été implémenté par l’entreprise Atos, dont l’ancien PDG Thierry Breton est dorénavant  Commissaire européen au marché intérieur. Et les droits sur Codentify ont été rachetés à la Digital Coding and Tracking Association (organisme fondé par nul autre que les quatre majors en 2010) pour un franc symbolique par la société suisse Inexto, détenue par le conglomérat français Impala SA. Son PDG, Philippe Chatelain, ancien employé de Philip Morris, et son directeur technique, ont leurs noms inscrits sur le brevet original Codentify de 2004. Enfin, cerise sur le gâteau, la société qui gère le dépôt central de données secondaires, Dentsu Aegis, basée à Londres, est détenue par une agence de publicité japonaise qui a représenté Japan Tobacco International. Par ailleurs, en 2017, Dentsu Aegis a acheté Blue Infinity, qui a précisément participé au développement de Codentify. Un exemple chimiquement pur d’opacité.

Si la responsabilité des industriels du tabac est évidente, elle ne peut pas occulter la responsabilité profonde de la Commission européenne et des Etats membres dans ce dossier. Les Pays-Bas se sont illustrés par leur capacité à héberger les industriels du tabac pour en capter les recettes fiscales au détriment des autres Etats. L’Allemagne, où le financement des campagnes électorales par l’industrie du tabac n’est pas interdit, arrive, selon l’association des ligues européennes contre le cancer, à la dernière place du classement dans la lutte anti-tabac. Les premières victimes de cette situation sont les citoyens allemands eux-mêmes puisque 120 000 d’entre eux meurent chaque année du tabagisme (soit plus qu’en France au regard du nombre d’Allemands). Mais ce drame humain n’a pas dissuadé les députés et fonctionnaires allemands au Parlement européen, ainsi que la Commission, de se faire les porte-plumes des quatre majors au moment de la rédaction de la fameuse directive tabac. La responsabilité des technocrates italiens ou français a également été pointée du doigt dans un récent article de l’OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project).

Que faire ?

Il est pourtant possible d’agir face à ce scandale. Il y a d’abord l’action localisée, nécessaire mais non suffisante, que permet le cadre parlementaire stricto sensu. En effet, en tant que membre de la commission Environnement et santé publique (ENVI) du Parlement européen, je serai directement confronté à la révision de la Directive Tabac prévue pour 2021/2022. C’est pour cela que j’ai souhaité faire partie du Groupe de travail parlementaire sur la révision de la Directive 2014/UE/40. Je préviens déjà les lobbys de ne pas se fatiguer à chercher à m’influencer. Pour préparer le terrain de la lutte importante qui s’annonce, j’ai déjà interrogé à de nombreuses reprises la Commission européenne sur le sujet. A ma question sur le système de traçabilité des produits du tabac élaboré par l’Union européenne et sa conformité au Protocole de l’OMS, la Commission m’a déjà répondu qu’il n’y avait rien à voir et que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ce type de réponse augure de la difficulté du combat qui vient. Il ne pourra être gagné que par la mobilisation citoyenne sur le sujet : c’est pourquoi je compte sur vous pour faire connaître ce dossier et interpeller vos élus pour en finir avec le règne des lobbys.


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