[ Comme rapporteur pour avis sur la protection des travailleurs contre l’amiante, je mène actuellement le combat contre ce fléau et je continuerai de le mener sans relâche tout au long des prochains mois : https://oeil.secure.europarl.europa.eu/oeil/popups/ficheprocedure.do?reference=2019%2F2182(INL)&l=fr ! ]
L’amiante est un poison qui a ruiné des milliers de vie et qui continue encore à le faire. En effet, de par le monde, ce sont encore 250 000 personnes qui meurent chaque année des suites de l’exposition à l’amiante. Ce n’est pas seulement une tragédie humaine ; c’est un scandale insupportable lorsqu’on se souvient que c’est dès le début du XXe siècle que l’on connaît la dangerosité de ce matériau.
Bien sûr l’Union a interdit l’utilisation de l’amiante en 1999, avec application en 2005, après des années de luttes et de mobilisations des victimes de l’amiante, de leurs associations, des travailleurs et de leurs syndicats. Mais il reste tant à faire. Selon l’OMC, d’ici 2030, ce sont 300 000 citoyens européens qui mourront du mésothéliome. Si l’on regarde à l’échelle du continent, un tiers des Européens vit dans des pays qui n’ont pas encore interdit l’utilisation de toutes les formes d’amiante. Et nous sommes encore loin d’une interdiction à l’échelle mondiale alors même qu’un puissant lobby industriel s’active pour empêcher l’ajout de l’amiante chrysotile à la liste de l’annexe III de la Convention de Rotterdam.
Certains États membres se sont dotés de plans et de dispositions législatives ambitieuses. Je pense bien évidemment à mon pays la France mais également à la Pologne, avec son plan d’action visant à l’élimination complète de l’amiante d’ici 2032. Ce que les expériences nationales nous apprennent c’est que la loi seule ne suffit pas : il faut lui adjoindre tout le poids de la puissance publique, seule garante réelle de l’intérêt général, et des financements publics qui ne soient pas empêchés par des considérations budgétaires obsolètes.
Malheureusement je dois également souligner que l’Union est bien loin d’être aussi exemplaire que ce que son droit indique. L’Union continue à exporter de l’amiante, notamment par l’expédition de navires à des fins de démantèlement et des entreprises basées dans l’Union continuent de développer des activités liées à l’exploitation de l’amiante dans des États tiers. Ce double-standard ne peut plus durer : l’Union ne peut pas être un ilot isolé du reste du monde, exposant ce dernier aux nuisances dont elle cherche à se débarrasser. En matière de santé humaine il n’y a qu’une seule chose qui vaille : l’entraide, effective et réelle, et non pas seulement proclamée.
Les morts de l’amiante sont un scandale social qui nous rappelle la violence terrible du monde du travail sans l’intervention de la puissance publique. L’on ne meurt pas seulement au travail, l’on meurt du travail. Le travail devrait être le lieu de la réalisation de toutes les potentialités créatrices de l’être humain, un lieu d’émancipation individuelle et collective, pas un lieu de larmes, de souffrance et de malheur. Le fléau de l’amiante ne se limite pas qu’au lieu de travail. Dans nos sociétés structurées autour de ce dernier, le mal se diffuse, se répand et touche les familles et les proches. Et comme de manière presque systématique le méfait social est également un méfait environnemental lorsque l’amiante empoisonne nos sols, nos champs et jusqu’à l’eau que nous buvons, et sans laquelle il n’y a aucune vie possible.
Face à ce fléau social et environnemental il est faux de dire que nous sommes tous égaux. Ce sont celles et ceux qui subissent le plus l’injustice de l’ordre du monde qui y sont le plus exposés. Ce sont les travailleurs des secteurs les plus pénibles. Ce sont les femmes, éternellement invisibilisées par notre société patriarcale. Ce sont les enfants. Ce sont les populations pauvres et marginalisées qui vivent près des décharges, près des bâtiments délabrés. Le fléau social et environnemental de l’amiante se loge dans les fossés d’injustice de notre société et les creuse encore davantage.
Il est temps pour l’Union d’agir davantage qu’elle ne l’a encore fait. Il est temps pour l’Union de mettre l’humain et l’environnement dans lequel il vit au centre de ses politiques, par une action concrète. L’Union doit adopter une Stratégie européenne d’élimination complète de l’amiante, déclinée en plans nationaux d’action dotés de moyens financiers, et des feuilles de route spécifiques aux niveaux local, régional et national. La Commission doit jouer pleinement son rôle de garante de l’intérêt général en assurant la coordination des plans nationaux, notamment par l’adoption d’une directive cadre.
Mais cette stratégie européenne ne sera une réussite que si elle repose sur une réelle implication populaire, par l’association étroite partenaires sociaux et autres parties prenantes, dont bien évidemment les groupes de victimes de l’amiante, à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de cette stratégie européenne et des plans nationaux. Néanmoins, je rappelle que l’implication populaire ne se décrète pas. Elle se construit par la confiance, et la confiance naît de la transparence. C’est pourquoi il est indispensable de mettre en place un cadre européen pour des registres publics et accessibles de l’amiante, accompagné d’une cartographie de l’emplacement exact de l’amiante dans les sites publics et privés et fournir des informations précises sur les décharges contenant des déchets amiantés, et les risques associés pour la santé des citoyens.
L’Union ne vivra que si elle est utile à nos citoyennes et citoyens, que si elle participe activement à l’émancipation de l’être humain. Souvenons-nous en ces temps de pandémie qu’il n’est pas d’émancipation humaine sans la santé qui est, comme la définit l’OMS, un état de complet bien-être physique, mental et social.