Tribune publiée dans l’Humanité
Cette semaine, le Parlement européen se prononce sur l’introduction d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. De quoi s’agit-il ? Ce mécanisme vise à assurer que les importateurs payent le même prix carbone que les producteurs européens sur le marché unique afin d’éviter ce que l’on appelle des « fuites carbone » : c’est-à-dire la délocalisation des productions dans des pays appliquant des objectifs et des normes moins contraignants que l’Union Européenne en matière climatique. La création d’un tel mécanisme répond à une demande portée depuis longtemps par la France au niveau européen. Il pourrait constituer un premier jalon vers la mise en place d’un protectionnisme écologique et solidaire à même de mettre un terme au grand chambardement du monde.
Malheureusement, le mécanisme proposé dans le rapport soumis au vote du Parlement européen (porté par l’eurodéputé Yannick Jadot) n’est pas une taxe aux frontières. Il s’agit d’une extension du marché carbone de l’Union européenne. Quel en serait le principe ? La mise en vente de quotas d’émissions de CO2, autrement dit la mise aux enchères de droits à polluer pour les importateurs. Ces quotas mis en vente seront des répliques de ceux mis à l’enchère sur le marché carbone européen et couvriront donc les mêmes secteurs, selon les mêmes modalités.
Le marché carbone de l’Union européenne existe déjà depuis des années : nous pouvons donc juger son bilan. Par un système de quotas gratuits, il a encouragé des stratégies de revente des droits à polluer qui ont permis aux industries les plus polluantes d’empocher 25 milliards d’euros de bénéfice. En raison d’un prix du carbone bien trop faible sur le marché, il n’a pas contribué de manière significative à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Alors pourquoi demander l’extension d’un système qui n’a pourtant pas rempli ses objectifs ?
Au-delà de l’instrument choisi, ce mécanisme souffre par ailleurs de trois failles majeures. D’abord, il ne couvrirait pas l’ensemble de nos importations : seulement certaines d’entre elles, associées à des filières industrielles identifiées, seraient concernées. Par exemple, les importations agricoles, qui contribuent pourtant le plus à notre empreinte carbone, ne seraient pas incluses dans un tel mécanisme.
Ensuite, les émissions résultant du transport de marchandises vers l’Union européenne ne seraient pas comptabilisés dans le calcul du coût carbone des produits importés. Or ces émissions ne sont couvertes par aucun objectif de réduction : selon l’OCDE, elles vont pourtant exploser de 290% d’ici à 2050. En refusant d’intégrer les émissions résultant du transport de marchandises, on égalise toutes les marchandises importées avec les biens produits dans l’Union : exit l’objectif d’une promotion de circuits domestiques plus courts.
Enfin, et contrairement à ce que recommandait le Haut conseil pour le climat dans son rapport de novembre 2020, le mécanisme n’est accompagné d’aucun objectif contraignant de réduction de la part de nos émissions importées. Par conséquent, tant que les importateurs pourront acheter des droits à polluer, ces émissions pourront continuer à augmenter, à rebours de tous nos engagements de réduction des émissions produites dans l’Union Européenne.
Le mécanisme proposé au vote du Parlement européen coche donc toutes les cases des failles potentielles pointées dans le rapport du Haut conseil pour le climat. Par son format, il se limite à être une politique de compétitivité aux effets quasi nuls quant à l’atténuation du changement climatique et à la réduction de notre empreinte carbone. Sa mise en œuvre risque de pénaliser les pays en voie de développement et les classes populaires au sein de l’Union européenne, alors que les pauvres contribuent bien moins à l’empreinte carbone européenne que les plus riches. Mais les mécanismes de redistribution que nous avons proposés pour corriger les effets néfastes d’un renchérissement des importations ont été délibérément ignorés au cours des négociations entre les groupes politiques du Parlement Européen.
Tel qu’il est proposé, ce mécanisme nous semble donc inapte à réduire notre empreinte carbone, inadapté au soutien aux productions les plus locales et incapable d’opérer une quelconque politique de redistribution. Il est, dès lors, bien loin du protectionnisme écologique et solidaire que nous appelons de nos voeux. Mais pouvait-il en être autrement alors que le rapport introduit la compatibilité avec les règles de l’OMC comme une condition sine qua non à la mise en œuvre du mécanisme ?
Ce dossier illustre finalement l’incompatibilité du capitalisme néolibéral avec une politique sérieuse de lutte contre la catastrophe climatique. Le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, décrétait, il y quelques jours, « une alerte rouge pour notre planète ». Or, les mécanismes de marché sont incapables de faire face à une telle situation. Comme le disait Nicholas Stern, « le changement climatique est la plus grande défaillance de marché que le monde ait jamais connue ». C’est donc bien le modèle économique qui est en cause. Et les pyromanes font rarement de bons pompiers.
Il faut changer de modèle ! Nous avons besoin d’un véritable protectionnisme écologique et solidaire. Nous avons besoin d’une planification démocratique de la réduction de toutes nos émissions, domestiques comme importées, filière par filière, élaborée avec les organisations syndicales, patronales, citoyennes et de défense de l’environnement. Nous avons besoin de faire primer l’intérêt général sur les intérêts particuliers pour faire face à la plus grande crise de notre histoire. C’est ainsi que nous pouvons tracer la route d’un nouvel avenir en commun.
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