Le 5 février, la Commission de l’environnement où je siège votait sur un texte qui me tient particulièrement à cœur : le rapport sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Bientôt il sera examiné par tous les députés réunis : ce sera l’un des enjeux majeurs de la session plénière du 8 au 11 mars au Parlement européen.
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) qu’est-ce que c’est ? Je vous raconte :
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est un instrument pouvant prendre plusieurs formes (taxe, droit de douane, marché carbone) qui vise à ce que le contenu carbone des importations soit taxé au même niveau que celui des productions domestiques. Le but ? Éviter ce que l’on appelle des « fuites carbones » : c’est-à-dire que les importations soient favorisées aux dépens des productions domestiques parce que produites avec moins de contraintes environnementales, notamment en matière de fiscalité carbone. Résultat ? En l’absence d’ajustement, les émissions de GES évitées au niveau domestique sont transférées à l’étranger où les contraintes sont moindres. Les émissions européennes de GES baissent mais elles restent les mêmes au niveau global et même augmentent.
Pour bien comprendre l’importance du sujet, il faut raisonner en termes d’empreinte carbone. L’empreinte carbone c’est quoi ? C’est prendre en compte nos émissions « importées », c’est-à-dire qui sont émises à l’étranger mais indispensables à notre mode de production. Or ces émissions importées ne sont pas comptabilisées dans nos inventaires d’émissions qui servent de base pour déterminer nos objectifs climatiques et nos cibles de réduction des émissions de GES. Cela représente un oubli de taille dans nos politiques climatiques !
C’est essentiel dans le cas de l’Union européenne. L’UE est une importatrice nette d’émissions de GES : c’est-à-dire que son empreinte carbone est bien plus importante que ses émissions territoriales. Par son empreinte l’UE contribue grandement au réchauffement climatique. Et cet état de fait ne vas s’améliorer avec les obsessions libre-échangistes de la Commission européenne. Selon l’OCDE les émissions résultant du seul transport commercial international vont augmenter de 290% d’ici 2050… Il y a péril en la demeure ; il faut bifurquer !
Avec un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières efficace nous pouvons instaurer une forme de protectionnisme écologique nous permettant de réduire ces émissions importées. Mais au fait que devrait couvrir ce mécanisme ? Évidemment les émissions résultant du transport. Et les émissions résultant de la différence dans les procédés de production employés. Il faut taxer l’ensemble de l’empreinte carbone des importations. Et quelles importations devraient être couvertes ? A terme, toutes. Dans un premier temps il faut d’abord cibler les importations en provenance des industries les plus fortement émettrices de CO2 comme la sidérurgie ou la cimenterie (nous avons réalisé une étude à ce sujet : Propositions de mécanisme d’ajustement carbone aux frontières sur les importations de clinker et de ciment, mai 2020).
Mais il faudra aussi inclure nos autres importations et notamment nos importations agricoles ! Ces importations, notamment celles de soja brésilien, font exploser l’empreinte carbone de l’UE, plus importante que celle de la Chine en la matière.
Et il ne faut pas seulement taxer le contenu carbone de nos importations. Il faut aussi se fixer des objectifs contraignants de réduction de nos émissions importées comme le demande le Haut Conseil pour le climat dans son rapport d’octobre 2020 : Maîtriser l’empreinte carbone de la France !
Pour que ces objectifs de réduction soient effectifs il nous faut planifier filière par filière, branche par branche, en lien avec les salariés, leurs organisations syndicales et les organisations patronales des trajectoires de réduction des émissions importées. En outre, ce mécanisme doit aussi avoir une dimension de solidarité internationale. L’UE a une responsabilité historique majeure dans le désastre climatique ; les revenus générés par ce mécanisme doivent servir à renforcer l’aide aux pays en voie de développement. Cette dimension de solidarité doit aussi s’intéresser à l’ensemble des conditions de production de nos importations et donc également aux conditions de travail ! Il faut taxer davantage les importations produites en violation des normes de l’OIT ! Enfin ce mécanisme doit avoir une dimension sociale. Les classes sociales n’ont pas la même empreinte carbone. Les 10% les + riches en Europe polluent plus que les 50% les + pauvres. Il faut une politique de redistribution en complément du mécanisme !
Bref, s’il est bien construit, ce mécanisme peut être un instrument de protectionnisme écologique et solidaire, inséré dans un ensemble de politiques publiques permettant de planifier la bifurcation de notre mode de production, de consommation et d’échange. Face à cette ambition que je défends comment se situe la proposition votée aujourd’hui en commission de l’environnement ? Il y a des bons points mais malheureusement elle commet une erreur fatale qui en vicie fondamentalement le fonctionnement.
Je suis content qu’il y ait des éléments relatifs à une refonte du commerce international pour le rendre compatible avec les normes de l’OIT et l’Accord de Paris. Je suis content également du fait que le mécanisme est placé au milieu d’un ensemble de politiques publiques. Malheureusement il n’y a rien sur l’inclusion des émissions du transport, le rapport a une obsession compulsive du respect de la sacro-sainte OMC, exprime son horreur du protectionnisme, souhaite l’obsolescence du mécanisme à terme. Mais surtout il en fait un marché carbone.
En effet, parmi toutes les options sur la table, le rapport demande la création d’un marché carbone organiquement lié au Système européen d’échange de quotas d’émissions (SEQE-UE) : le marché carbone de l’Union européenne. Or ce marché carbone est un échec monumental et organise le droit à polluer dans l’UE ! Cet échec du SEQE-UE n’est pas que mon constat ; c’est aussi celui de la présidente du Haut Conseil pour le climat, citée par le média Contexte ! Il faut le remplacer par une planification par filière des trajectoires de réduction des émissions de l’ensemble de nos émissions de CO2 !
Le mécanisme proposé par ce rapport ne permettra pas un réel protectionnisme écologique et solidaire. Il instaure un nouveau mécanisme de marché. Face à l’urgence climatique les mécanismes de marché sont le problème, pas la solution. Il faut planifier!