Ce jeudi midi, j’ai exercé mon droit de visite parlementaire en me rendant au Centre de Rétention Administrative (CRA) de Cornebarrieu, près de Toulouse. Je m’y étais déjà rendu en septembre dernier et j’avais observé des conditions de rétention bien éloignées de l’idée que je me fais de la patrie des droits de l’homme. Ma démarche répondait cette fois à des alertes qui m’ont été adressées par des avocats. Ceux-ci ont engagé une procédure devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour obtenir la fermeture du centre, comme le demandent également la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Mme Adeline Hazan, et du défenseur des droits, M. Jacques Toubon.
Ainsi, sur Europe 1 le 18 mars, la première demandait « instamment au ministre de l’Intérieur de fermer provisoirement les centres, étant donné la suspension de la majorité des lignes aériennes et la promiscuité des personnes en leur sein ». Dans une déclaration officielle le lendemain, le Défenseur des droits indiquait lui que « les conditions d’hygiène de ces centres et leurs capacités à permettre la mise en place de gestes barrières semblent tout à fait insuffisantes pour empêcher la propagation du virus » et il demandait à son tour « leur fermeture immédiate ».
Face à l’absence de décision du ministère de l’Intérieur sur ce sujet, je me suis donc rendu sur place. Un parlementaire peut en effet visiter, de manière impromptue, tout lieu de privation de liberté afin d’y contrôler les conditions de rétention. Je l’ai fait en responsabilité, en me protégeant autant que possible afin de ne pas prendre le risque de participer à la diffusion du virus et en respectant scrupuleusement les gestes barrières. Je l’ai fait en ayant en tête à la fois la protection des retenus et celle des personnes qui travaillent dans le centre au quotidien.
Avant de pénétrer dans la zone de rétention, j’ai d’abord pu me rendre compte que, si du gel hydroalcoolique est bien disponible à l’entrée des locaux, l’organisation physique des bureaux ne permet absolument pas aux agents, pourtant nombreux, de respecter les distances sociales nécessaires. J’ai ensuite constaté qu’aucun des membres du personnel nous accueillant ne portait de masque. Ce ne sera finalement le cas d’aucune des personnes que j’ai croisées au cours de la visite. Aux dires des gardiens, seul le personnel médical du centre, que je n’ai pas pu rencontrer, dispose d’un tel équipement qui lui a été fourni par le centre hospitalier de Toulouse. La personne que j’interrogeais sur cette absence m’indiqua avoir dû donner une partie du stock qui était sur place à la préfecture. Il comptabilisait donc dans ses stocks seulement « 73 masques FFP1 » qui sont donc utilisés « au compte-gouttes » et réservé à des situations particulières, par exemple face à un retenu présentant des symptômes de la maladie.
Le centre de Cornebarrieu se situe pourtant au bout des pistes de l’aéroport de Toulouse Blagnac. Il y a quelques jours, un avion rempli de matériel de protection s’est bien posé ici. Mais son contenu n’était pas destiné aux personnels de santé, ni aux gardiens du centre. Il était réservé aux entreprises de l’aéronautique qui ont décidé de redémarrer leurs chaînes d’assemblage, pourtant non indispensables à la bataille sanitaire. On mesure ici la défaillance du pouvoir, dans cette incapacité à assurer la protection d’agents publics à qui il est pourtant demandé de poursuivre leurs missions.
Une fois à l’intérieur de la zone de rétention, j’ai pu constater que huit personnes se trouvaient sur place, réparties dans deux ailes distinctes. Chacun dispose d’une chambre individuelle. Mais les retenus que j’ai interrogés m’ont indiqué que ce n’était que le cas depuis la veille. Ils se sont plaints fortement des conditions d’hygiène et du manque de produits de nettoyage. Ils m’ont indiqué ne plus pouvoir communiquer avec l’extérieur car le téléphone commun fonctionne avec des pièces mais le distributeur de monnaie est cassé.
Or, la Cimade et l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII), présents en temps normal pour veiller au respect des droits, ont dû se retirer des lieux pour des raisons sanitaires. Les retenus ont donc comme seuls interlocuteurs les forces de police.
J’ai pu interroger également les gardiens sur la manière de protéger le centre lorsque de nouveaux retenus y font leur entrée. Il m’a été indiqué que les personnes faisaient l’objet d’un examen médical à leur arrivée mais, qu’en l’absence de symptômes, elles rentraient immédiatement dans les lieux sans être soumises à des mesures de quarantaine. De même, si un retenu présente des signes d’une contamination comme cela a été le cas quelques jours avant mon arrivée, il est mis en isolement jusqu’à un examen médical, et, si le médecin le juge nécessaire, un test de dépistage. En cas de test négatif, là aussi, les retenus sont remis dans leur aile sans quarantaine imposée. On sait pourtant qu’il existe des « faux négatifs », c’est-à-dire des cas pour lesquels le résultat du test est négatif alors que la personne est bien porteuse du virus.
De même, aucun soutien psychologique n’est mis en place au sein du centre. Ce n’était déjà pas le cas lors de ma première visite alors qu’un suicide a eu lieu au sein du centre il y a un peu plus d’un an. On m’avait affirmé à l’époque qu’une procédure de recrutement d’un psychologue était engagée. Mais celle-ci n’a toujours pas abouti.
Enfin, à Cornebarrieu, il m’a été indiqué que les sous-traitants travaillant sur les lieux ne disposaient pas non plus de protocoles sanitaires particuliers. Les salariés de l’entreprise en charge de la préparation et de la livraison des repas ne disposent par exemple pas de masques. Seule la personne servant les repas en dispose d’un … qu’elle s’est procuré elle-même et qui n’a donc aucune homologation particulière.
Bref, j’ai pu constater sur place que les conditions sanitaires n’étaient pas acceptables. Elles constituent bien sûr une mise en danger des retenus, mais aussi des personnes travaillant sur les lieux. N’y étant pas confinées, celles-ci sont, en dehors de leurs horaires de travail, au contact de leurs familles. Elles font sans doute quelques courses pour subvenir à leurs besoins. C’est donc, in fine, l’ensemble de la société, dans sa bataille contre la propagation du virus, qui est concerné. Ce serait la protéger de fermer ces centres, d’autant plus que les perspectives d’éloignement des retenus sont désormais inexistantes du fait de la fermeture des frontières de l’espace Schengen.
Pourtant, le ministre de l’Intérieur ne semble tenir aucun compte du problème. Face à cette absence de réaction, plusieurs associations ont saisi le Conseil d’Etat pour obtenir la fermeture. Mais leur requête a été rejeté, celui-ci estimant « que les chefs des centres de rétention ont les moyens de faire appliquer les consignes d’hygiène et de distanciation sociale visant à prévenir la propagation du Covid-19 ». Ce n’est pourtant pas ce que j’ai pu observer sur place.
Le ministre de la Santé a prétendu à plusieurs reprises que le gouvernement suivait à la lettre les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé dans sa lutte contre le Coronavirus. Celles-ci sont pourtant très claires concernant les lieux de privation de liberté. Elles soulignent les exigences de mise à disposition de produits d’hygiènes, de respect strict des distances sociales, de prise en compte de l’impact psychologique de la pandémie, de maintien des possibilités de contact avec son entourage et de présence des équipements individuels de protection. Ces préconisations ne sont aucunement respectées au sein du centre de Cornebarrieu. Si le gouvernement veut donc respecter son engagement, qu’il ferme au plus vite les centres de rétention administrative.