Comme prévu, suite à l’annonce de l’utilisation de l’article 49.3 pour faire passer en force le projet de loi sur les retraites, le gouvernement enchaîne les éléments de langage pour en faire porter la responsabilité aux oppositions, et en particulier à la France insoumise. Il est donc nécessaire de démasquer encore les mensonges du pouvoir.
1) « L’examen du texte a déjà duré trop longtemps. »
L’annonce d’Edouard Philippe intervient après 117 heures de débat, réparties sur 13 jours. C’est loin d’être excessif.
C’est moins que les 157 heures qui avait été consacrées à la réforme des retraites de 2003 dont l’examen avait duré 19 jours. C’est bien moins que les 20 jours qui avaient été nécessaires pour l’examen de la loi sur la presse de 1984 (167 heures de débat). C’est inférieur encore aux 142 heures passées sur l’examen de la loi de 2014 sur l’Assurance maladie, aux 121 heures de débat sur le projet de loi relatif au secteur de l’énergie de 2006, et à peu près équivalent au temps nécessaire pour discuter de la loi Macron de 2015 (111 heures de débat). Bref, c’est une durée tout à fait raisonnable pour un texte qui prétend remettre à plat l’ensemble de notre système de retraites, qui concerne un budget de 300 milliards, équivalent au budget de l’Etat, et qui va impacter l’ensemble des Français pendant en moyenne 1/4 de la durée totale de leur vie.
2) « La parole était confisquée par la France insoumise. »
Les débats auront donc duré 117 heures. Sur ces 117 heures, les députés de la France insoumise auront parlé, selon les comptages officiels, une durée totale de 15 heures et 54 minutes. Cela représente environ 13% du temps de parole total. Les députés communistes auront parlé pratiquement le même temps (15h07) tandis que les députés de la droite se seront exprimés pendant 12h15.
On est bien loin de la confiscation du débat par les Insoumis.
3) « Le nombre d’amendements était insurmontable. »
Au total, 41888 amendements avaient été déposés sur le texte, mais seulement 35454 devaient être débattus dans l’Hémicycle. Au moment de la prise de parole du Premier ministre, les députés en avaient examiné 6181, soit presque 20% des amendements.
Mais il faut noter que l’examen du premier article a pris un temps considérable, en raison de la volonté affichée du président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand de faire tomber des amendements pourtant déposés dans les règles. Pour empêcher cette manœuvre, les députés de l’opposition ont pratiqué l’utilisation de sous-amendements. Ils ont obtenu gain de cause puisque Richard Ferrand s’est retrouvé contraint de renoncer.
Dès lors, c’est exactement une semaine de débat qui a été perdue par sa faute. Depuis, la discussion avance à une vitesse raisonnable et rien n’empêchait l’examen du texte d’aller à son terme.
Bref, le gouvernement multiplie à nouveau les mensonges et les contre-vérités pour masquer sa véritable intention. Ainsi, les députés devaient rentrer dès aujourd’hui dans la discussion autour de la définition du point dans le système de retraites que souhaite mettre en place le gouvernement. C’était une discussion à haut risque pour le pouvoir. De plus, la majorité était en voie de dislocation puisqu’il ne se passe pas une semaine sans qu’un député quitte le groupe majoritaire : le gouvernement n’était donc plus en mesure de garantir une majorité pour le vote de la loi à l’Assemblée nationale.
C’est pourquoi il fait preuve d’une telle brutalité, prenant par surprise les députés (y compris ceux de son groupe qui ont été prévenus quelques minutes seulement avant l’arrivée du Premier ministre à l’Assemblée nationale) et utilisant un conseil des ministres consacré au Coronavirus pour valider le 49.3.
Au delà de la déloyauté et du mépris pour la démocratie d’une telle manœuvre, elle démontre la fragilité du gouvernement à ce sujet. D’autant plus que la partie n’est pas finie.
En effet, le 49.3 ne peut être utilisé qu’une seule fois par session parlementaire et ne s’applique pas pour l’examen de la loi au Sénat. Dès lors, même si les motions de censure déposées ne recueillent pas une majorité, il faudra ensuite que le texte soit débattu et voté au Sénat.
De plus, la réforme comporte un volet organique, c’est-à-dire relatif à l’organisation des pouvoirs publics, sur lequel le gouvernement ne pourra pas réutiliser le 49.3, puisqu’il s’agit de la même session.
La bataille parlementaire va donc se poursuivre. Pour être remportée, elle devra trouver le renfort d’une nouvelle mobilisation populaire d’ampleur, qui rende visible l’opposition majoritaire du peuple à cette réforme. Elle pourra aussi s’appuyer sur le verdict des élections municipales qui s’annoncent comme une défaite inédite pour un parti au pouvoir.
Dessin de Manon Herraez