La deuxième session plénière de l’année a été l’occasion de montrer l’ampleur de la tartuferie écologique de ce Parlement, et tout particulièrement des députés français de LREM.
En effet, alors que la Commission avait promis que toutes les politiques de l’Union seraient revues à l’aune du Green Deal, et que le Parlement a solennellement proclamé l’urgence climatique et environnementale, on nous demande d’adopter deux textes climaticides : premièrement, un accord de libre-échange avec le Viêt Nam (encore un, même si c’est le premier que je suis amené à connaître directement depuis mon élection) et un soutien financier massif au secteur du gaz.
La Commission européenne prétend vouloir faire de l’Europe le premier continent climatiquement neutre à l’horizon 2050 ; il semblerait qu’elle ne se soucie en rien de la hausse drastique d’émissions de gaz à effet de serre que sa folie libre-échangiste occasionne. Et pourtant, dans une réponse que la Commission a fournie à l’une de mes questions écrites, elle reconnaît « que, d’ici 2030, les émissions [du secteur maritime] seront nettement supérieures à celles provenant des sources terrestres » ; or s’il est bien un secteur qui augmente avec les accords de libre-échange c’est celui-là ! L’obsession maladive de la Commission à vouloir à tout prix conclure le plus d’accords de libre-échange possibles est absolument irresponsable !
En l’occurrence, en ce qui concerne l’accord avec le Viêt Nam (dont les négociations ont débuté en juin 2020), nous devions nous prononcer sur quatre textes : l’accord de libre-échange, l’accord de protection des investissements, et les résolutions qui donnent la position du Parlement concernant ces deux textes.
La division en deux de cet accord s’explique par le fait qu’il ne se limite pas aux compétences commerciales exclusives de l’Union européenne, mais couvre également les investissements, par le biais de la clause d’arbitrage entre investisseurs et États, que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a reconnu comme étant de la compétence des États membres.
Cet accord avec le Viêt Nam est à inscrire dans un cycle global de négociation par l’Union européenne d’accords de libre-échange dits de « nouvelle génération » : CETA, JEFTA, etc. Il est particulièrement néfaste pour la démocratie, les travailleurs et l’environnement.
Néfaste pour la démocratie parce que cet accord avec un régime autoritaire et répressif consacre le triomphe des tribunaux d’arbitrage qui privilégient systématiquement les multinationales et les actionnaires aux dépens des peuples.
Néfaste pour les travailleurs européens comme vietnamiens. Européens, puisqu’il affectera tout particulièrement les deux millions de travailleurs du textile, qui subiront de plein fouet un dumping social qui anéantira leur secteur. Vietnamiens, parce que cet accord renforcera leur exploitation par des multinationales et un gouvernement qui n’ont que faire des conventions de l’OIT (Organisation internationale du travail), de la liberté syndicale et du droit de grève.
Néfaste pour l’environnement enfin, parce que cet accord ne prévoit aucun mécanisme permettant de s’assurer du respect des objectifs fixés par les accords internationaux sur l’environnement. Et je ne mentionne même pas la hausse d’émission de gaz à effet de serre qui résultera de la hausse des échanges. De même, l’accord de protection des investissements garantit des droits exécutoires aux investisseurs étrangers, mais strictement aucun mécanisme de respect des normes sociales et environnementales. Là aussi la priorité est claire : les profits avant les peuples et la planète.
Les résolutions du Parlement européen donnant sa position sur ces deux accords sont à proprement parler ubuesques.
La résolution sur l’accord de libre-échange considère qu’il s’agit de « l’accord le plus moderne, complet et ambitieux jamais conclu entre l’Union et un pays en développement et qu’il devrait servir de référence pour les relations de l’Union avec les pays en développement » ! Un accord avec un État qui ne reconnaît pas les normes de l’Organisation internationale du travail, piétine la liberté syndicale et le droit de grève, emprisonne les opposants politiques et qui est le quatrième pollueur plastique mondial des océans ! Peut-on faire plus idolâtre du libre-échangisme et plus aveugle au désastre ?
La résolution sur la protection des investissements, quant à elle, estime que cet accord pourra « relever le niveau de vie, favoriser la prospérité et la stabilité et contribuer à la progression de l’état de droit, de la bonne gouvernance, du développement durable et du respect des droits de l’homme au Viêt Nam », alors même que, comme je l’ai rappelé plus haut, cet accord ne prévoit strictement rien de contraignant pour s’assurer du respect des normes sociales et environnementales !
Évidemment les malheurs n’arrivent jamais seuls, et il fallait que le Parlement persiste et signe dans son entreprise de sape de la lutte contre le dérèglement climatique. Il fallait que le Parlement approuve la volonté de la Commission de soutenir tous azimuts le secteur du gaz !
En effet, le Parlement devait se prononcer sur ce qu’on appelle une liste de projets d’intérêt commun présentée par la Commission européenne : un projet peut être qualifié d’intérêt commun par la Commission s’il porte sur une infrastructure énergétique et a une incidence notable sur au moins deux États membres. La qualification d’intérêt commun ouvre le droit à bénéficier des fonds européens et de prêts de la Banque européenne d’investissement. Avec 32 projets gaziers sur 151, la liste soumise par la Commission à l’occasion de cette session plénière est une aberration absolue. Elle va à l’encontre de la proclamation de l’état d’urgence climatique et environnemental par le Parlement, des objectifs actuels de réduction des gaz à effet de serre de l’Union et de l’objectif de neutralité climatique annoncée par la présidence von der Leyen, puisqu’elle renforce de manière significative le secteur du gaz.
Il faut savoir qu’au sein de l’Union européenne la construction de tous les projets d’infrastructures gazières en cours ajouteraient 233 milliards de m3 par an à la capacité d’importation de l’UE ; cela ajouterait plus de 30 % à la capacité actuelle d’importation, qui est déjà presque deux fois plus élevée que la consommation de gaz de l’UE. À l’heure actuelle les centrales électriques au gaz de l’Union ne génèrent qu’un tiers de l’électricité qu’elles seraient en mesure de produire. Par ailleurs, en 2020, l’UE n’utilisait en moyenne que 60% des capacités d’importation fournies par ses oléoducs et terminaux méthaniers ; les infrastructures actuelles ont donc toute la capacité nécessaire pour augmenter les importations de gaz naturel de l’UE, même en cas de risque de rupture d’approvisionnement de la part de plusieurs États (Algérie, Biélorussie, Ukraine).
Par conséquent, si toutes ces infrastructures gazières étaient construites, cela représenterait un investissement de 12 milliards d’euro par an au cours de la décennie 2020, soit un montant de 50% supérieur aux projections d’investissement dans le secteur des énergies fossiles prévu dans le rapport annuel de l’Agence internationale de l’énergie de 2019. Sur les 117 milliards d’euro d’investissement dans les projets gaziers au sein de l’UE, 25,7 milliards figurent sur la liste des Projets d’intérêt commun de la Commission européenne : si cette liste était approuvée, ces projets pourraient bénéficier de subventions des fonds européens ainsi que de prêts de la Banque européenne d’investissement (en dépit de son annonce de ne plus financer de projets énergétiques ayant trait aux combustibles fossiles d’ici fin 2021).
Cette volonté de la Commission de renforcer les infrastructures gazières de l’Union est en contradiction absolue avec les objectifs de réduction de GES de l’Union à l’horizon 2030 (même avec l’objectif législatif actuel de 40%, donc a fortiori pour 50-55%) et l’objectif de neutralité climatique pour 2050.
La combustion de gaz représente ¼ du total des émissions de GES de l’Union, et depuis 2018, le gaz a surpassé le charbon et est désormais la deuxième source de GES après le pétrole. Tous les scénarios, y compris ceux de la Commission, insistent sur la nécessité d’une réduction drastique de notre consommation, extraction et importation de gaz naturel. Ces projets nous engagent sur le long terme : les centrales électriques au gaz ont une durée de vie de 30 ans, les gazoducs de 40 ans, les terminaux méthaniers (gaz naturel liquéfié) de plus de 40 ans.
Cette liste de Projets d’intérêt commun représente donc un surinvestissement énorme dans des infrastructures qui dureront des décennies pour augmenter une capacité gazière actuellement sous-utilisée et pourtant déjà incompatible avec les objectifs climatiques de l’Union. L’approbation par le Parlement de cette liste relève donc de la folie furieuse. Les propos de Pascal Canfin, président de la commission de l’environnement du Parlement européen, et eurodéputé LREM, se félicitant d’une telle liste, révèle la duplicité des amis de M. Macron.
Il ne suffit pas de proclamer sur le glacier du Mont-Blanc que l’urgence écologique est le combat du siècle. Il faut le mener avec cohérence et détermination, et en assumant la rupture avec les dogmes néolibéraux qu’un tel combat implique.
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