L’incendie qui a frappé l’Usine Lubrizol de Rouen a déclenché l’inquiétude des habitants de la région, et, plus généralement, de l’ensemble du pays.
C’est d’abord le manque de transparence des pouvoirs publics qui a été relevé. Alors que s’élevait un nuage de fumée et que les conséquences de cette fumée se faisaient ressentir, le préfet de Seine-Maritime, puis les ministres de la Santé et de l’Ecologie, donnaient surtout le sentiment d’une volonté de masquer la vérité par des déclarations partielles et approximatives. On se serait cru davantage dans la série Tchernobyl qu’en France en 2019.
Ces derniers jours, les résultats de premières analyses ont été publiés. Elles semblent écarter l’hypothèse d’émissions d’amiante ou de dioxyde au delà des seuils réglementaires. Mais personne ne peut ignorer que le respect de ces seuils ne signifie pas que la présence de ces produits aurait un impact nul sur la santé. « Ce nuage qui est passé au-dessus de Rouen est chargé en poussière hautement toxique au minimum cancérogène » à ainsi estimé Annie Thébaud Mony, directrice de recherche honoraire à l’Inserm. Et la suie qui s’est répandu dans l’agglomération pourrait finir dans les eaux de la Seine avec un impact non négligeable sur la biodiversité.
Au delà de ces résultats, cet incendie nous alerte sur la gestion de la sécurité des installations industrielles à risque. L’usine Lubrizol fait en effet partie de ce que l’on appelle les sites Seveso, du nom d’une catastrophe industrielle dans la commune italienne de Seveso en 1976. Suite à cet accident, une première législation européenne a été adoptée en 1982, puis a été successivement renforcée en 1996 (Seveso 2), puis en 2012 (Seveso 3). Ces directives visent à définir des normes de sécurité pour les installations industrielles à risque en distinguant deux seuils (haut et bas) en fonction de la quantité de matière dangereuse présente sur un site.
Mais les moyens de contrôle de ces normes sont ridicules. Ainsi, alors que des inspections régulières et approfondies sont nécessaires, il n’y a en France que 1 500 inspecteurs affectés auprès des 500 000 installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), auxquels se rattachent les 1379 sites Seveso que comptent notre pays. Des lors, il n’est humainement pas possible de garantir le respect de ces normes.
Le site de Rouen semble être malheureusement un bon exemple de cela. Normalement, un site seuil haut doit refaire une étude de dangers à minima tous les cinq ans, prévoir un plan d’urgence et définir une stratégie d’intervention. Pour l’usine Lubrizol, le gouvernement a annoncé qu’une étude de dangers avait été réalisée en 2009. Mais celle-ci est antérieure à deux augmentations de la capacité du site qui ont été autorisées par le préfet sans que de nouvelles études n’aient été demandées.
Cette décision s’inscrit dans le droit fil d’une tendance des libéraux à voir toute norme ou enquête comme un obstacle au développement industriel, la où elles ne visent en réalité qu’à garantir le respect de l’intérêt général. Ainsi, le 23 septembre dernier, le député LREM Guillaume Kasbarian, a remis un rapport au Premier ministre visant « à simplifier et accélérer les installations industrielles ». Il propose notamment de « donner la possibilité au préfet, après consultation du public et sans attendre l’autorisation environnementale, d’autoriser le démarrage de tout ou partie des travaux lorsqu’ils ne nécessitent pas d’autorisation spécifique, ce qui peut faire gagner plusieurs mois à l’industriel ». Voilà où mène la domination du marché sur toute autre considération !
Cet accident met par ailleurs l’accent sur le manque de mise en œuvre des décisions prises suite au terrible bilan de l’explosion d’AZF à Toulouse en 2001. Ainsi, la loi « Risques », adoptée en 2003 a permis d’instaurer à proximité de tout site Seveso de seuil haut, des plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Mais seulement 400 PPRT ont été élaborés à ce jour alors que la France compte 744 sites classés Seveso haut. Et seulement 600 logements ont fait l’objet de travaux de renforcement (amélioration des vitrages ou réalisation d’une pièce « confinable ») sur les 20 000 à 30 000 logements situés à proximité des sites industriels à risque.
Le préfet de Seine-Maritime a raison de pointer la responsabilité de la direction de l’usine Lubrizol dans l’incendie, d’autant plus que l’on apprend ces derniers jours qu’elle aurait stocké certains de ses produits sur le site d’une entreprise voisine, bien moins exigeante en terme de conditions de stockage. Mais cette responsabilité de l’exploitant ne peut pas occulter celle des pouvoirs publics dans le manque de contrôle des installations et le peu de moyens mis en œuvre pour rendre effectives les dernières législations. On ne joue pas avec la santé des habitants.