C’est l’éternel rengaine. Interrogé sur sa réforme des retraites, le président de la République a répété à nouveau ce refrain : puisque l’on vit plus longtemps, alors on va devoir travailler plus longtemps. Logique non ?
Pourtant, cet argument est tout à fait contestable.
D’abord car il n’est malheureusement pas établi que nous allons continuer à vivre plus longtemps. En effet, depuis 5 ans, l’espérance de vie plafonne en France alors qu’elle a augmenté de 30 ans au cours du 20ème siècle. Pire encore, l’espérance de vie en bonne santé s’effrite. Elle est de 64,1 ans chez les femmes et 62,7 chez les hommes, en dessous de la moyenne européenne.
Ensuite car l’augmentation de la durée de la vie s’est accompagné dans l’histoire de la baisse de l’âge légal de départ à la retraite. La première loi sur les retraites a été adopté en 1906. Il s’agissait d’un régime par capitalisation avec un âge de départ de 65 ans. Pourtant, à l’époque, moins d’un tiers des ouvriers atteignait l’âge de soixante ans et la moitié d’entre eux disparaissait avant soixante-cinq ans. Ce qui fit dire à Paul Laffargue, gendre de Marx, que la loi instaurait une retraite pour les morts. Après la seconde guerre mondiale, le ministre Ambroise Croizat instaure un régime par répartition avec un âge de départ de 65 ans. L’espérance de vie est alors de 60 ans pour les hommes et de 65 ans pour les femmes. Enfin, en 1981, l’âge de départ à la retraite passe à 60 ans. Pourtant, l’espérance de vie a atteint 70 ans pour les hommes et 78 ans pour les femmes.
C’est donc bien le contraire qui s’est produit au cours du siècle dernier : la durée de vie a augmenté et le temps de travail diminué. Pourquoi ? Parce que les luttes collectives ont permis de réduire la quantité de richesses captée par le capital et parce que les formidables gains de productivité ont permis à l’humanité de s’émanciper petit à petit d’une vie entièrement consacrée au labeur. Ainsi, la quantité de richesse produite par une personne en une heure de travail (c’est à dire la productivité) est passé de moins de 20 euros en 1970 à environ 55 euros en 2015.
Bien sûr, nous vivons plus longtemps qu’avant. Bien sûr, le nombre de personnes inactives a donc augmenté par rapport au nombre de personnes actives, et ce phénomène est renforcé par l’arrivée à la retraite de la génération du « baby boom ». Mais on occulte toujours de dire qu’une personne active aujourd’hui crée, en travaillant une heure, l’équivalent de ce qui était créé par trois personnes en 1970. Dès lors, la question n’est pas à « faut-il travailler plus longtemps ? » mais plutôt « à qui profite les gains de productivité ? ».
Le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) estime que la part du financement des retraites dans le revenu national est de 13,8% en 2017. L’économiste Bernard Friot chiffre à environ 3% du PIB la hausse du coût des retraites pour revenir à 60 ans avec 37,5 années de cotisation. Il s’agit là d’un déplacement moins considérable que la hausse de la part des dividendes dans les 30 années écoulées (on estime que 10 points sont passés des revenus du travail à ceux du capital depuis 1980).
L’argument de la hausse de l’espérance de vie pour justifier le report de l’âge de départ à la retraites est donc tout à fait contestable. Il vient en fait masquer un débat politique sur ce que nous faisons de l’augmentation de la richesse produite et à qui cela doit-il profiter en priorité. C’est ce débat qui devrait en fait avoir lieu. Mais il obligerait le gouvernement à reconnaître qu’une minorité capte aujourd’hui une immense partie de la richesse produite. Voilà ce qu’il faut changer !