Urgence climatique : Dr. Jekill et M. Hyde

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Urgence climatique : Dr. Jekill et M. Hyde

À quelques heures de la journée du 5 décembre, je prends quelques minutes pour revenir sur la séance du Parlement Européen de la semaine passée. C’était à Strasbourg où se déroule les plénières, même s’il existe aussi des « mini-sessions » plus courtes qui se déroulent à Bruxelles. Cette séance avait une importance particulière : le vote sur la nomination de la nouvelle commission européenne était à l’ordre du jour, ainsi que deux résolutions autour de la COP25 et de l’état d’urgence climatique et environnementale.

Le processus de mise en place de la Commission Européenne est particulièrement complexe. Il a débuté en juillet lorsque les états membres se sont mis d’accord, dans l’opacité la plus totale, sur une répartition des « top jobs » (c’est à dire des fonctions importantes au sein des institutions de l’Union). A l’Allemagne donc la présidence de la Commission Européenne avec Ursula von der Leyen, ancienne ministre de la défense d’Angéla Merkel. A la France la présidence de la Banque Centrale Européenne par l’intermédiaire de Christine Lagarde. A la Belgique la présidence du Conseil avec l’ancien premier ministre Charles Michels. A l’Espagne, le poste de « Haut Représentant pour les affaires étrangères ».

Puis le Parlement Européen, devant le fait accompli, a été sommé de valider cette répartition. Malgré l’accord des partis de la grande coalition (le groupe du PPE, le parti de la droite européenne ; le groupe S&D, celui des membres du PS ; le groupe Renew qui réunit les libéraux et les amis d’Emmanuel Macron), la candidature d’Ursula von der Leyen ne sera finalement validé qu’avec 9 voix d’avance, preuve de l’essoufflement de cette confiscation du pouvoir par les partis du système.

Une fois validée, von der Leyen a proposé une répartition des portefeuilles au sain de la Commission. Chaque état membre a proposé son candidat ou sa candidate, puisque chaque pays dispose d’un siège au sein de la Commission Européenne. Sur cette base, le Parlement Européen a auditionné chaque commissaire. C’est à la suite de ces auditions que la candidature de la candidate française Sylvie Goulard a été rejeté, les parlementaires lui reprochant notamment d’avoir travaillé pour un fond de pension américain en parallèle de son mandat d’eurodéputée.

À l’issue de ces auditions, le Parlement Européen est appelé à approuver la composition de la Commission Européenne. En cohérence avec notre rejet de la candidature d’Ursula von der Leyen en juillet, nous avons à nouveau voté contre. Car la feuille de route de la Commission Européenne n’est pas à la hauteur des défis qui sont devant nous : les objectifs de réduction des gazs à effet de serre sont très insuffisants pour respecter la trajectoire des accords de Paris ; aucune mesure forte n’est envisagée pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale ou contre le dumping social ou fiscal ; rien n’est prévu pour changer les règles des traités et c’est toujours et encore la politique de concurrence qui restera demain la norme des politiques européennes. Bref, malgré la désagrégation de la grande coalition et l’effondrement d’un certain nombre de dogmes néo-libéraux, la Commission Européenne reste ce village d’irréductibles qui ne jure que par le marché, la dérégulation et la concurrence libre et non faussée.

Les auditions ont par ailleurs mis en valeur des risques de conflits d’intérêt pour certains commissaires européens en charge de secteurs dans lesquels ils ont exercé jusqu’à très récemment une activité privée. C’est par exemple le cas de Thierry Breton, le nouveau commissaire proposé par la France. Mais la validation de sa candidature, avec l’aide des socialistes et de la droite, a démontré à quel point les reproches formulés à l’encontre de Sylvie Goulard était davantage guidé par des motivations politiciennes plutôt que par une conviction sincère face aux risques de conflits d’intérêt.

Pour toutes ces raisons, notre délégation de la France insoumise, comme notre groupe de la GUE, se sont prononcés contre la validation de la Commission Européenne. Sans surprise, les élus de la République en Marche et les élus de la droite ont voté pour, bien aidés par l’abstention des élus d’EELV et du PS qui n’ont toujours pas tranché leur ambiguïté vis à vis d’une politique européenne contradictoire avec les urgences sociales et écologiques.

Cette séance a permis également de préparer la conférence pour le climat (COP25) qui s’est ouvert en début de semaine à Madrid. A cette occasion, un débat et une résolution autour de l’urgence climatique et environnemental avait été ajoutés à l’ordre du jour. Il faut donner ici quelques éléments de compréhension sur le vote des résolutions par le Parlement Européen.

Ainsi, quand un débat et/ou une résolution sont proposés, la Conférence des présidents (qui réunit les présidents des groupes politiques qui composent le Parlement Européen) doit donner son accord pour qu’ils soient ajoutés à l’ordre du jour. Ensuite, une fois cette décision prise, chaque groupe politique peut préparer une résolution sur le sujet et la soumettre au vote du Parlement Européen. Au sein du groupe, un.e parlementaire est désigné comme responsable du suivi du texte (on utilise le terme de « shadow », c’est à dire de rapporteur pour le désigner). Sur l’urgence climatique et environnemental, le groupe de la GUE m’avait confié cette responsabilité.

Comme aucun groupe n’a de majorité absolue, il est difficile de faire voter sa propre résolution par le Parlement. Il est alors d’usage de se réunir entre groupes politiques pour tenter de constituer une majorité autour d’un texte de compromis. Ce compromis peut concerner l’ensemble des groupes, ou seulement les groupes qui le souhaitent. Ce sont les différents rapporteurs qui mènent ces discussions.

En ce qui concerne le texte sur l’urgence climatique et environnemental, nous nous sommes donc réunis le mardi 26 novembre au matin. Seul le groupe d’extrême-droite n’était pas représenté. Le groupe de la République en Marche souhaitait un texte court, avec l’objectif de limiter le vote de cette résolution à une opération de communication, sans souligner les incohérences d’une telle décision avec les politiques européennes actuelles. Les groupes de droite (le PPE, le plus gros, réunissant notamment les membres des Républicains ; et l’ECR qui rassemble plusieurs partis de droite et d’extrême-droite, notamment d’Europe de l’Est) voulaient saboter la résolution par l’introduction d’un débat sémantique autour de la traduction anglaise de l’urgence (« emergency » ou « urgency »).

Le représentant des Verts et moi-même pour la GUE poussions au contraire à introduire des paragraphes pour donner des traductions législatives à cette notion d’urgence. Pour notre part, nous parvenons à faire adopter le considérant B appelant à des « mesures sociales et d’inclusion fortes destinées à garantir une transition juste et équitable … » et à réitérer dans le texte l’objectif de limitation du réchauffement climatique à moins de 1,5°C. Nous nous mettons finalement d’accord sur un compromis, sans que le représentant du PPE, de l’ECR et des Verts ne semblent soulever d’objections.

Le mardi soir, nous apprenons avec surprise que ces groupes ont décidé de ne pas signer la déclaration commune. Nous sommes alors très surpris de la décision des Verts qui semblent préférer qu’une telle décision ne soit pas prise si elle n’est pas à leur initiative. Après une rapide discussion au sein du groupe, nous maintenons donc notre signature car nous pensons que l’impact politique d’une telle décision nous permettra de faire avancer les esprits sur l’urgence d’agir face à la catastrophe écologique. Nous préparons également des amendements, certains communs avec le groupe des Verts, pour renforcer le niveau d’ambition de cette résolution.

Le jeudi, le texte est soumis au vote du Parlement Européen. Il sera finalement adopté avec les voix de la GUE ainsi que les voix de Renew, du groupe S&D et du groupe des Verts, ces derniers réalisant, tardivement, qu’ils ne pourraient assumer publiquement d’avoir fait échec à une telle résolution. Le PPE se divisera sur cette question mais la délégation française, elle, votera pour. Côté français, seule la délégation du Rassemblement National s’opposera à ce texte, les amis de Madame Le Pen préférant voter un amendement climato-sceptique dénonçant « l’absence de consensus scientifique sur la part du changement climatique d’origine anthropique et celle d’origine naturelle » et indiquant « que les températures mondiales augmentent bien plus lentement qu’on ne l’avait prédit et qu’il n’existe par conséquent aucune urgence climatique et environnementale ».

Ce vote est une très bonne nouvelle, d’autant plus que notre groupe et celui des Verts ont réussi à faire adopter, malgré l’opposition de la droite et du Rassemblement National, un amendement pour « demande(r) instamment à la nouvelle Commission de s’attaquer aux incohérences des politiques actuelles de l’Union en matière d’urgence climatique et environnementale, notamment par une réforme en profondeur de ses politiques d’investissement dans les domaines de l’agriculture, du commerce, des transports, de l’énergie et des infrastructures ».

Les autres amendements que nous avons déposés ont malheureusement été rejeté. Mais l’étude des votes nominatifs des uns et des autres révèle des contradictions intéressantes. Ainsi, le PS et une partie de LREM ont voté contre le fait de « demande(r) instamment à la nouvelle Commission d’évaluer pleinement l’incidence de l’ensemble de la législation, des politiques, des fonds et des budgets sur le climat ainsi que sur l’environnement ». Le groupe LREM s’est également divisé lorsque nous avons proposé que « pas un euro [du budget] ne soit utilisé en faveur du financement d’activités ou de projets qui vont à l’encontre des objectifs de l’accord de Paris ou qui contribuent à la perte de biodiversité; » puisqu’une partie de ses élus a voté contre aux côtés de la droite et de l’extrême-droite.

De même, une majorité de la délégation macroniste joindra ses voix à la droite pour refuser que le Parlement Européen « s’engage à ne donner son approbation aux accords commerciaux et d’investissement conclus avec des pays tiers que s’ils sont signataires de l’accord de Paris et que s’ils ont adopté des mesures contraignantes et exécutoires pour atteindre ses objectifs, et uniquement si les accords commerciaux et d’investissement comportent des dispositions environnementales et climatiques juridiquement contraignantes et exécutoires; demande que soient passés en revue tous les accords commerciaux et d’investissement de l’Union pour en déterminer les répercussions en matière d’émissions de gaz à effet de serre et la conformité à l’objectif de neutralité climatique ». Un tel vote est pourtant en contradiction avec les promesses de campagne d’Emmanuel Macron !

Finalement, la délégation LREM, divisé à de nombreuses reprises sur ces amendements, ne se rassemblera que pour rejeter, avec la droite, le Rassemblement National et une partie du PS, un amendement commun de la GUE et des Verts visant à adopter des objectifs plus ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre (réduction de 65% en 2030, indispensable pour respecter la trajectoire des accords de Paris).

Si le vote qui a déclaré l’état d’urgence climatique et environnementale est une très bonne nouvelle, il ne résout donc pas le gouffre béant qui sépare, sur ce sujet, les paroles et les actes. La ratification de la commission von der Leyen en est une illustration flagrante. Mais ce vote symbolique sera un outil utile pour interpeller désormais chacune des décisions de l’Union Européenne à l’aune de cette urgence. Nous ne manquerons pas de le faire pour porter en Europe la voix des peuples inquiets face à la catastrophe écologique.

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