Le transport maritime, un enjeu climatique et sanitaire

Publié le
Archive Parlement UE Environnement

Le transport maritime, un enjeu climatique et sanitaire

Transport maritime

Avec l’Ever Given qui a obstrué le canal de Suez pendant plusieurs jours, bloquant ainsi des centaines de navires, nous avons pu nous rendre compte de notre dépendance au commerce intercontinental (notamment avec l’Asie) et au transport maritime. Ces milliers de navires qui sillonnent les mers du globe transportent pour la plupart des marchandises – 80 % des marchandises du monde pour être précis. Les conséquences sont inévitables : loin d’être propres, ils sont responsables de l’émission de gaz à effet de serre et de gaz polluants qui ne sont pas sans conséquences sur la santé humaine et environnementale.

C’est justement la semaine dernière qu’était voté le rapport « Mesures techniques et opérationnelles pour un transport maritime plus efficace et plus propre » au Parlement européen, venant de la commission des Transports. J’ai contribué, en tant que rapporteur du groupe La Gauche, à la rédaction d’un avis (voté en novembre 2020) de la commission Environnement à la commission des Transports sur ce rapport. Retour sur un sujet stratégique pour la lutte contre le réchauffement climatique et la pollution de l’air.

Rôle du transport maritime dans l’émission de GES et de gaz polluants

Les bateaux transportent 80 % des marchandises du monde. Ils représentent 7 % de la consommation mondiale de pétrole, et 2 à 3 % des émissions mondiales de GES. Les trajets depuis et vers les ports de l’UE représentent 10 % de ces émissions (si ces trajets étaient un pays de l’UE, ils seraient le huitième plus gros émetteur de GES, derrière les Pays-Bas). Les émissions mondiales devraient augmenter de 90 à 230 % en 2050 si rien n’est fait, en raison de l’augmentation toujours croissante du commerce international.

Le transport maritime et son augmentation à venir sont problématiques pour l’environnement. Les navires émettent en effet :

  • Des gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique ;
  • Des oxydes de soufre (Sox) et d’azote (Nox), gaz dangereux pour la santé et l’environnement ;
  • Des particules fines, dangereuses pour la santé.

Il est également responsable de pollution sonore, visuelle, du rejet de déchets solides, d’eaux usées…

Pour ce qui est des GES : le transport maritime international n’est pas concerné par l’accord de Paris. Le premier objectif du secteur a été pris en 2018 par l’Organisation maritime internationale : – 50 % d’émissions de GES en 2050 par rapport à 2008. C’est malheureusement très insuffisant, quand on sait qu’il faudra ne plus émettre de GES du tout en 2050 si l’on veut conserver une chance de limiter le réchauffement climatique à + 1,5°C d’ici la fin du siècle.

Part des émissions de CO2

Pour ce qui est des Sox, Nox, particules fines : ce sont des substances qui causent des problèmes respiratoires. Leur émission par le transport maritime est responsable de 50 000 décès par an dans l’UE.

Il est donc indispensable d’agir rapidement afin de limiter le réchauffement climatique et d’éviter des dizaines de milliers de morts. Il est d’autant plus urgent d’agir rapidement que la durée de vie d’un navire est de 30 ans : les navires en circulation en 2050 sont déjà en train d’être construits.

Réduire notre dépendance à l’importation

La première chose à faire pour réduire les émissions du transport maritime est de diminuer la quantité de marchandises transportées. C’est après tout à cause de la mondialisation croissante que les échanges ne cessent d’augmenter. La relocalisation de la production et la sortie des accords de libre-échange permettrait de produire davantage au sein de l’Union européenne et de réduire notre dépendance à l’importation, tout en recréant des emplois. Mais le rapporteur, issu du groupe des Socialistes & Démocrates (où siège le PS), a refusé de l’intégrer à l’avis.

Mesures applicables à court terme

Ensuite, il existe un certain nombre de mesures que l’on peut prendre dès à présent, sur les navires existants, sans nécessiter de changements importants.

Il y a par exemple la diminution de la vitesse, qui rallongerait légèrement les temps de trajet mais diminuerait de façon non négligeable les émissions : une diminution de la vitesse de 10 à 20 % entraînerait une réduction des émissions de CO2, Nox et Sox de 13 à 24 %. C’est d’autant plus intéressant que les navires doivent parfois patienter pour avoir une place au port, pouvoir charger/décharger leurs marchandises, etc. : il n’est pas toujours pertinent de naviguer vite. L’optimisation de la vitesse et de l’itinéraire en fonction des places disponibles sont donc à faire appliquer rapidement. Le rapporteur a malheureusement refusé d’intégrer cette recommandation au rapport.

Il y a également l’optimisation de la répartition des charges sur le navire : la façon dont les charges sont réparties fait varier la façon manière dont le navire s’enfonce dans l’eau (plus à l’avant qu’à l’arrière, à gauche qu’à droite…) ; une répartition optimisée peut donc améliorer l’aérodynamisme des bateaux et faire diminuer leur consommation de carburant.

Mais ces mesures à court terme ne sont pas suffisantes. Il faut modifier profondément le mode de propulsion des bateaux afin de supprimer les carburants fossiles.

Mesures à prévoir à moyen/long terme

Certaines ONG (comme Transport & Environnement) proposent d’imposer des limites d’émissions aux navires entrant et sortant des ports de l’UE, quel que soit leur pavillon (navire européen ou pas). A terme, le non-respect de ces limites entraînerait une interdiction d’accès dans les ports européens. Cette mesure a l’avantage d’encourager les professionnels du secteur à concevoir et utiliser des bateaux plus propres, tout en leur laissant le soin de choisir les technologies utilisées (qui peuvent varier selon le type de navire et la longueur du trajet effectué). Nouveau refus du rapporteur.

J’ai toutefois pu intégrer une mention sur le Gaz naturel liquéfié (GNL), souvent avancé comme solution miracle pour permettre aux navires de réduire leurs émissions, notamment de Nox (- 90 %) et de Sox (- 100 %). Ce n’est en réalité rien d’autre que du gaz qui a été converti sous forme liquide : autrement dit, une énergie d’origine majoritairement fossile. La réduction des émissions de GES n’est que de 25 %, très loin de ce dont on a besoin pour respecter l’accord de Paris. Il en va de même pour les biocarburants, carburants produits à partir de biomasse, qui nécessitent des déforestations par manque de sols cultivables. Ces deux fausses bonnes solutions ne doivent plus recevoir de financements publics et doivent être à terme bannis des utilisations maritimes.

Plus généralement, les financements publics doivent être réservés aux carburants alternatifs véritablement durables : éolien, électricité renouvelable, hydrogène renouvelable et ammoniac renouvelable. Tous ne sont cependant pas encore matures : c’est le cas de l’hydrogène vert, qui coûte encore très cher et qui occupe beaucoup de place sur les bateaux. C’est pourquoi l’utilisation de l’ammoniac (fabriqué à partir d’hydrogène) est préférable : il est plus dense que l’hydrogène et occupe donc moins d’espace pour une même quantité d’énergie transportée.

Mais l’hydrogène (et donc l’ammoniac) vert demande à être produit à partir d’électricité renouvelable, par électrolyse, procédé dont le rendement est de l’ordre de 30 %. Cela signifie qu’il faudra 3 fois plus d’électricité pour faire un même trajet à l’hydrogène qu’à l’électricité. Malheureusement, les batteries ont l’inconvénient d’occuper beaucoup d’espace et d’être très lourdes. L’idéal serait donc de réserver l’ammoniac pour les trajets les plus longs, où il faudrait une trop grande quantité de batteries embarquées, et d’utiliser les batteries pour les trajets courts.

0 émission à quai

Une bonne chose : l’avis conseille un objectif 0 émission à quai d’ici 2030, en alimentant les navires avec de l’électricité fournie par les ports. Elle est en effet actuellement produite à bord à partir du fioul, celui-ci n’étant pas taxé, contrairement à l’électricité à quai. Cela nécessite de garder les moteurs allumés à quai, même en étant immobile, et a pour conséquences la pollution de l’air des villes portuaires et les effets néfastes sur la santé que nous connaissons.

Il faut toutefois que cette électricité soit d’origine renouvelable, sans quoi la pollution ne sera que déplacée et pas supprimée.

Système d’échanges de quotas d’émissions

Le rapporteur a souhaité que l’avis recommande l’inclusion du transport maritime dans le Système d’échanges de quotas d’émissions européen. Nous nous y sommes opposés : ce système de marché a démontré maintes fois son inefficacité à diminuer les émissions des secteurs concernés. Sa nature de marché qui fait que le prix du CO2 est trop bas et instable, ainsi que l’allocation de quotas gratuits, ne sont pas suffisants pour inciter les entreprises à diminuer leurs émissions. Nous avons proposé à la place des objectifs contraignants de réduction d’émissions, avec impossibilité de pénétrer dans les ports de l’UE s’ils ne sont pas respectés. Cela serait beaucoup plus efficace pour obtenir des résultats dans les délais voulus, mais là encore, le rapporteur n’a pas voulu que cela figure dans l’avis.

Mer Méditerranée : zone de contrôle des émissions

Le rapport intègre la recommandation que la mer Méditerranée doit devenir une zone de contrôle des émissions, comme c’est déjà le cas de la mer du Nord et de la mer Baltique. Ce sont des zones où les normes d’émissions sont encore plus basses que celles appliquées dans les eaux internationales. C’est essentiel pour protéger les villes portuaires méditerranéennes, ainsi que les zones marines, de la pollution des navires.

ECA = zone de contrôle des émissions atmosphériques (Emission Control Area)

Le problème des croisières

L’activité de croisière est en augmentation constante ces dernières années et cause beaucoup plus de dégâts que de retombées économiques dans les villes où les bateaux de croisière accostent. Etant donné qu’il s’agit d’un secteur non essentiel, j’ai proposé des normes plus strictes, l’accès restreint aux aires marines protégées, et l’interdiction de créer de nouveaux emplacements pour les bateaux de croisière dans les ports – refusés également par le rapporteur.