Quatrième bloc : la stratégie gagnante de la France insoumise

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Opinions

Quatrième bloc : la stratégie gagnante de la France insoumise

Une enquête publiée la semaine dernière dans le journal « Le Monde » est venue apporter sa pierre aux campagnes de dénigrement désormais quotidiennes contre la France insoumise. Ce journal est coutumier du fait : le média « Acrimed » a par exemple analysé le traitement absolument honteux qui y fut fait de la campagne des élections européennes de la France insoumise. Cette fois, c’est avec un « sondage » de l’institut IPSOS que « Le Monde » se livre à son exercice favori. Il s’agit de démontrer, contre tous les éléments de la réalité, que la France insoumise serait plus en difficulté que jamais. 

Bien sûr, on pourrait pour y répondre se contenter de rappeler la dynamique militante autour du mouvement insoumis. Plus de 70 000 personnes l’ont rejointe depuis le 1er janvier 2024, c’est-à-dire en un semestre deux fois plus que sur l’ensemble de l’année 2023. Dans la même période, plus de 25 000 personnes ont intégré un groupe d’action pour y militer au quotidien. Avec désormais plus de 430 000 inscrits, dont plus de 100 000 militants actifs, jamais ce mouvement n’aura été si puissant et attractif. Le formidable succès des AMFiS 2024, plus gros rendez-vous politique de la rentrée, en a été une nouvelle démonstration.

On pourrait aussi s’amuser de voir des journalistes continuer à faire des enquêtes d’opinion la base de leurs papiers, quelques semaines après ce qui restera sans doute comme l’un des plus gros fiascos des instituts de sondage. Faut-il rappeler ici que les 27 sondages réalisés entre l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale (9 juin 2024) et le second tour de l’élection législative (7 juillet 2024), TOUS, sans exception, avaient pronostiqué une victoire du Rassemblement national, prévoyant jusqu’à 305 sièges pour un parti qui n’en gagnera finalement que 142 (ce qui est déjà beaucoup trop) ?

Mais tout cela serait faire abstraction des véritables motivations d’une telle opération. Pour les comprendre, il faut d’abord s’arrêter sur le timing et les commanditaires. Ce sondage a été commandé par la Fondation Jean Jaurès, fondation rattachée au Parti socialiste et présidée par Jean-Marc Ayrault, ancien Premier ministre de François Hollande. Il a été publié le jour de l’ouverture des Universités d’été du Parti Socialiste. L’article du journal « Le Monde » qui en fait état insiste lourdement sur « l’image abîmée » de la France insoumise… pour bien évidemment conclure à la nécessité pour le PS de rompre avec le Nouveau Front populaire. Au moment où le président de la République cherche par tous les moyens à fracturer ce rassemblement pour conserver le pouvoir après son humiliation électorale des dernières législatives, on peut se dire que la ficelle est un peu grosse.

Elle ne résiste surtout pas à une analyse sérieuse des dynamiques électorales de l’année 2024. Car cette année a été au contraire une démonstration du succès de la ligne stratégique déployée par la France insoumise, et du fait qu’elle a été le principal artisan de la victoire du Nouveau Front populaire aux élections législatives.

Qu’est-ce que la stratégie du quatrième bloc ?

La France insoumise a mis au point sa stratégie électorale sur la base d’une analyse rigoureuse des résultats des élections présidentielles et législatives de 2022. À l’issue de cette séquence, le champ politique s’est organisé en 3 blocs politiques d’égale importance : un bloc populaire réunissant les électeurs du Nouveau Front populaire, un bloc libéral réunissant l’électorat de la macronie et de ce qui reste de la droite traditionnelle, et un bloc d’extrême droite. 

Or, si des porosités peuvent exister entre ces différents blocs, elles sont réduites, comme l’a démontré l’enquête post-électorale de Tristan Haute à propos des élections législatives de 2024, même si un mouvement de convergence du bloc central et du bloc d’extrême droite est à l’œuvre ces dernières années. Pour l’emporter, pour le bloc populaire, il s’agit donc de convaincre dans le « quatrième bloc », c’est-à-dire auprès de toutes celles et tous ceux qui ne participent plus aux élections et qui représentent une partie significative du peuple français.

Le travail réalisé par Thomas Piketty et Julia Cagé dans « Une histoire du conflit politique », comme celui de Tristan Haute cité ci-dessus, prouvent que des marges de progression significatives existent pour le bloc populaire au sein de ce quatrième bloc. Ainsi, Piketty et Cagé ont montré que l’abstention n’est pas également répartie dans toute la population : elle se concentre d’abord sur des catégories sociales et des zones du territoire qui correspondent aux lignes de force du bloc populaire. Citons-les directement : « si toutes les catégories de territoires avaient la même participation, tout en continuant de voter en moyenne comme elles le font actuellement, alors le score du bloc libéral-progressiste serait sensiblement plus réduit. Compte tenu du fait que la participation est particulièrement faible dans les communes pauvres urbaines, une telle remontée de la participation conduirait à une forte hausse du score du bloc social-écologique ».

Leur analyse de l’histoire électorale démontre aussi que les différences de participation entre ces électorats ne sont pas une fatalité : si les 10 % les plus riches participent aujourd’hui bien davantage aux élections que les 10 % les plus pauvres, il s’agit d’un record historique et donc pas d’un fait permanent dans le temps. Ainsi, entre 1960 et 2000, le rapport était à l’inverse : la participation dans les communes les plus pauvres était plus importante que dans les communes les plus riches. Ce surplus de participation était largement porté par un vote ouvrier fort en faveur du projet communiste. Pour le dire autrement, la mobilisation des secteurs populaires nécessite l’identification à un projet politique clair et radical de transformation de la société. C’est donc ici une clef importante de la stratégie du quatrième bloc.

Bien sûr, ces résultats étaient aussi la traduction concrète d’une stratégie d’implantation et de présence militante très forte du PCF dans les banlieues populaires. C’est ce maillage territorial qu’il s’agit aussi de rebâtir en tenant compte de l’ampleur de la crise démocratique. C’est pourquoi le mouvement de la France insoumise a fait le choix depuis sa création de développer des outils nouveaux comme les caravanes populaires, le développement des correspondants d’immeuble ou la multiplication des actions de solidarité concrète. C’est aussi avec cet objectif que l’Institut La Boétie a développé une école de formation visant à permettre aux militants du mouvement de se doter des savoirs nécessaires à leur action.

De son côté, l’étude de Tristan Haute prouve qu’une partie significative de ce quatrième bloc est plus proche du bloc populaire que des autres blocs du point de vue de ses revendications politiques. Il rappelle que « le groupe principal, plus nombreux que les deux autres réunis, est celui des électeur·ices qui n’ont pas voté ou qui ont voté blanc, nul ou pour un·e autre candidat·e. En termes de valeurs, il est proche des votant·es NFP, que ce soit sur les salaires, l’environnement ou les allocations chômage ».

C’est sur la base de ce constat que la France insoumise a tourné son orientation stratégique et son activité militante vers la nécessité de ramener dans le champ politique des gens qui en étaient éloignés, déçus par les trahisons de l’orientation libérale du Parti socialiste et réfugiés dans une abstention de rejet vis-à-vis des structures traditionnelles de la gauche politique. C’est donc un travail conséquent, incluant la défense d’un programme de rupture et une pratique politique assumant sa conflictualité vis-à-vis du système politico-médiatique, qui a été engagé. 

Premiers succès de la stratégie du 4e bloc à l’élection européenne

C’est cette stratégie qui a été développée dans l’élection européenne de 2024 et qui a commencé à porter ses fruits : alors que celle-ci a été ces dernières années un véritable scrutin censitaire renforçant les différentiels de participation, malgré l’abstention d’un électeur sur deux, la France insoumise a gagné cette année 1 million de voix supplémentaire par rapport à l’élection européenne précédente. La liste conduite par Manon Aubry a réalisé plus de 30 % chez les 18-24 ans (selon IPSOS) et des résultats extraordinaires dans les communes parmi les plus pauvres du pays : par exemple 56 % à Garges-lès-Gonesse (95), 53 % à Stains (93), 50 % à Saint-Denis (93) ou 42 % à Vénissieux (69).

Ces résultats sont directement corrélés à une forte hausse de la participation dans ces communes par rapport au reste du pays. Ainsi, si l’abstention au niveau national a reculé de 1,4 points entre 2024 (48,51 %) et 2019 (49,88 %), elle a par exemple reculé de 7 points à Garges-lès-Gonesse, de 8 points à Vénissieux ou de 4 points à Saint-Denis. La progression du score de la France insoumise aux européennes a donc été très largement portée par l’augmentation de la participation (voir le tableau ci-dessous).

VilleHausse de LFI (%)Recul de l’abstention
Villetaneuse+44 points-5 points
Garges-lès-Gonesse+42 points-7 points
Clichy-sous-Bois+41 points-5 points
Villepinte+38 points-5 points
Vaulx-en-Velin+36 points-8 points
Creil+36 points-4 points
Vénissieux+32 points-8 points
Argenteuil+41 points-6 points
Villiers-le-Bel+29 points-6 points
Dreux+28 points-5 points
Roubaix+28 points-5 points
Sarcelles+27 points-6 points
Créteil+21 points-6 points
Givors+21 points-6 points

Cette hausse de la participation a notamment été la conséquence d’une campagne d’inscription sur les listes électorales menée de manière intense par les militants insoumis : comme l’a montré Maxime Champion dans son étude sur Marseille, il existe une forte corrélation dans les bureaux de vote entre le nombre de nouveaux inscrits et le vote pour la France insoumise aux élections européennes.

La France insoumise, moteur de la victoire du Nouveau Front populaire

On lit parfois, et c’est la conclusion à laquelle souhaite arriver les commentateurs du sondage publié dans « Le Monde », que la France insoumise ou Jean-Luc Mélenchon auraient été un boulet pour le Nouveau Front populaire. Pourtant, rien n’est plus faux lorsque l’on sort du commentaire médiatique et que l’on analyse réellement les évolutions du score du Nouveau Front populaire par rapport au résultat de la NUPES en 2022.

Tout d’abord, il faut noter que l’on observe dans la progression du NFP les mêmes tendances globales que celle que l’on a pu observer à propos de la campagne des élections européennes. Ainsi, si la participation à l’élection législative a augmenté au niveau national de 19 points par rapport à 2022, elle a augmenté davantage dans les catégories de la population qui se sont largement portées sur la France insoumise aux élections européennes. Elle a augmenté par exemple de 28 points chez les 18-24 ans et de 21 points chez les 10 % les plus pauvres.

Une étude précise des évolutions sur chacune des circonscriptions permet de vérifier ce constat. Donnons ici quelques explications. Sur le premier graphique ci-dessous, chaque point correspond à une circonscription législative. Plus un point est sur la droite du graphique, plus la France insoumise a gagné de voix sur cette circonscription aux élections européennes entre 2019 et 2024. Plus un point se situe en haut du graphique, plus le Nouveau Front populaire a gagné de voix aux élections législatives entre 2022 et 2024. On peut constater que les points s’alignent autour d’une même tendance (la droite en noire), c’est-à-dire qu’il existe un lien (une corrélation) entre la progression de la France insoumise aux européennes et la progression du Nouveau Front populaire aux législatives. Pour le dire autrement : les circonscriptions sur lesquelles le NFP a le plus progressé aux législatives sont celles où la France insoumise a le plus progressé aux européennes.

On peut faire la même expérience à propos des évolutions du score du bloc PS – EELV entre 2019 et 2024 (graphique ci-dessous). On constate d’abord que le bloc PS – EELV (incluant la liste de Génération·s en 2019) a régressé en nombre de voix entre ces deux élections (puisque l’essentiel des points se situent sur la gauche du graphique). Mais on constate également qu’il n’existe aucun lien (aucune corrélation) entre les évolutions de ce bloc sur une circonscription et les évolutions du score du Nouveau Front populaire sur cette même circonscription. 

La conclusion est claire : c’est bien la progression de la France insoumise, et donc le résultat de sa stratégie électorale, qui a permis la victoire du Nouveau Front populaire aux élections législatives.

Pour illustrer cette démonstration, on peut prendre un exemple de circonscription emblématique : celui de la 1re circonscription du Vaucluse, où Raphaël Arnault était le candidat du Nouveau Front populaire. Il n’y a sans doute pas de circonscription mieux adaptée pour illustrer le pilonnage qu’ont subi les candidats présentés par la France insoumise dans le cadre du Nouveau Front populaire. À écouter les propagandistes du journal « Le Monde », on aurait donc pu imaginer que cette candidature aurait rendu toute victoire impossible. Il faut noter en outre qu’en 2022, le candidat du Rassemblement national l’avait emporté sur le candidat de la NUPES et donc qu’au vu de la forte progression nationale du score du RN, le succès du candidat du Nouveau Front populaire apparaissait cette fois comme hautement improbable. 


Pourtant, au soir du 7 juillet, c’est bien Raphaël Arnault qui a été élu député de cette circonscription. En zoomant sur la commune d’Avignon qui constitue une grande partie de la circonscription, on observe qu’il y augmente le score du NFP de 7 000 voix au second tour par rapport à 2022. Or, comme on peut le voir sur le tableau ci-dessous, l’ensemble des listes de gauche aux européennes avaient progressé sur cette commune de 3 000 voix au total, et cette progression était entièrement due à la forte hausse du nombre de voix de la France insoumise (+3 700 voix).

Ici aussi, le constat est sans appel : c’est bien l’élargissement de la France insoumise dans le 4e bloc qui a permis au Nouveau Front populaire de reprendre cette circonscription au Rassemblement national.

 2019/20222024EVOLUTION
LFI EUROP (%)8,53%22,10%+13,57%
LFI EUROP (voix)20055739+3734 voix
GAUCHE EUROP (%)36,95%45,01%+8,06%
GAUCHE EUROP (voix)868611687+3001 voix
GAUCHE LEGISL T2 (%)54,74%60,44%+5,7%
GAUCHE LEGISL T2 (voix)1159118863+7272 voix

Vers la victoire du bloc populaire ?

Bien sûr, cette analyse ne peut pas faire abstraction du renforcement du bloc d’extrême droite, dont les progrès sont très largement la conséquence de l’affaiblissement du bloc libéral. Nous sommes donc bien dans la course de vitesse entre eux et nous que décrivait déjà Jean-Luc Mélenchon il y a plus de 10 ans. Une question se pose donc à nous : existe-il des marges de progression encore importantes pour permettre au bloc populaire de l’emporter ?

On peut d’ores et déjà noter que, contrairement à ce que l’on veut parfois faire croire, la victoire du bloc populaire ne nécessite pas de réunir plus de 50 % des suffrages au premier tour. Rappelons qu’Emmanuel Macron a remporté les élections présidentielles de 2017 et de 2022 avec respectivement 24,01 % et 27,8 % des voix au premier tour. Rappelons également que la « coalition présidentielle » avait remporté la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale (306 sièges) en réalisant un score de 28,2 % au premier tour des élections législatives de 2017, c’est-à-dire un score équivalent à celui réalisé cette année par le Nouveau Front populaire. 

Or, s’il est un enseignement du second tour des élections législatives, c’est que malgré les campagnes de dédiabolisation de l’extrême droite et de diabolisation des insoumis, les électeurs se sont massivement mobilisés au second tour pour faire battre les candidats du Rassemblement national. Il n’est donc pas vrai de dire qu’une majorité de Français préfèrent l’extrême droite à la gauche au second tour. Même s’il faut rappeler que si les électeurs macronistes s’étaient mobilisés contre l’extrême droite dans les mêmes proportions que les électeurs du NFP, le NFP aurait gagné 58 duels supplémentaires face au Rassemblement national. Et la France insoumise aurait aujourd’hui un groupe parlementaire de 104 membres à l’Assemblée nationale (soit 32 députés supplémentaires).

Une fois évacués ces arguments de mauvaise foi, il faut noter qu’il existe bien évidemment encore de fortes marges de progression pour le NFP au sein du quatrième bloc. 

Ainsi, si les 18/24 ans ont voté à plus de 30 % pour la France insoumise aux européennes, et à près de 50 % pour le Nouveau Front populaire aux législatives, 43 % de cette catégorie d’âge n’est pas allée voter à cette dernière élection (soit 10 points de plus que dans la moyenne de la population). 

De même, alors que le Nouveau Front populaire a obtenu son meilleur score dans les catégories les plus précaires (35 % de ceux qui gagnent moins de 1250 euros ont voté pour le NFP), cette partie de la population s’est abstenue à 43 % (soit ici aussi 10 points de plus que dans la moyenne de la population). 

Pour le dire autrement, si les plus jeunes et les plus pauvres avaient voté autant que la moyenne de la population, alors le Nouveau Front populaire aurait pu battre le Rassemblement national au premier tour et gagner au second tour une majorité absolue à l’Assemblée nationale.

Pour y parvenir, la France insoumise continuera à déployer son orientation stratégique en campagnes concrètes. C’est l’objectif des annonces des AMFiS 2024 pour reprendre d’ores et déjà le travail d’inscription sur les listes électorales et pour se déployer partout en France dans des caravanes de la destitution après le coup de force d’Emmanuel Macron. 

Car c’est en poursuivant notre élargissement dans le bloc populaire que nous pourrons tourner définitivement la page du macronisme et empêcher la victoire de l’extrême droite. N’en déplaise aux pseudo-enquêtes du journal « Le Monde ».

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