LA PRESIDENCE FRANCAISE DE l’UE RESTERA COMME UNE OCCASION MANQUEE

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Le blog Opinions

LA PRESIDENCE FRANCAISE DE l’UE RESTERA COMME UNE OCCASION MANQUEE

La présidence française de l’Union européenne restera dans l’histoire comme une formidable occasion manquée. Elle avait pourtant lieu à un moment inédit de la construction européenne : sous l’impact de la crise sanitaire, les dogmes absurdes qui régissaient le fonctionnement de l’Union européenne depuis plusieurs décennies s’étaient effondrés en quelques semaines.

Ainsi, le pacte de stabilité́ et de croissance avait volé en éclat. Écrit sur un coin de table, sans aucune justification économique sérieuse, il éclata face aux dépenses budgétaires indispensables pour faire face aux conséquences de la pandémie. Les doux mots de service public ou d’investissements publics revinrent à la mode quelques instants. Les griots du libre-échange mirent quelques mois leurs obsessions en silence. Il faut dire qu’elles avaient rendu la France plus vulnérable que jamais, incapable de produire le matériel médical, les masques ou les médicaments nécessaires pour faire face à la pandémie.

Il y’avait donc avec la présidence française une occasion historique de transformer en profondeur le cours de la construction européenne. Mais il n’en aura rien été.

On nous avait annoncé́ en grandes pompes la révision du Pacte de stabilité́ et de croissance. Le secrétaire d’état Clément Beaune disait d’ailleurs en avril 2021 : « On ne doit pas refaire l’erreur que nous avons faite en gérant mal l’après-crise de l’euro et en durcissant les règles budgétaires d’avant-crise ». Mais cette révision est d’ores et déjà̀ enterrée. Devant notre hémicycle il y’a quelques semaines, le discours de la Première ministre n’a laissé d’ailleurs aucun doute sur ce sujet : les Français vont devoir se serrer la ceinture pour revenir dans les clous des règles budgétaires que vous jugiez pourtant obsolètes il y’a quelques mois.

On nous avait annoncé́ une rupture complète avec la politique commerciale européenne. On allait voir ce qu’on allait voir : il n’y aurait plus un seul accord de libre-échange sans l’introduction de clauses miroirs pour empêcher l’importation de produits qui ne respectent pas les normes européennes. Mais l’Allemagne a froncé les sourcils et vous vous êtes inclinés. L’accord avec la Nouvelle-Zélande négocié sous votre présidence aura fini de convaincre même les plus naïfs : il ne contient aucune clause miroir. La page de l’obsession libre-échangiste est loin d’être tournée en Europe !

En vérité́, vous vous êtes rendus impuissants à transformer réellement les choses en faisant de la présidence française de l’Union européenne un instrument de propagande électorale. Vous auriez pu faire le choix de la reporter pour que la France puisse jouer pleinement son rôle. L’Allemagne l’avait fait en son temps. Mais vous avez préféré́ en faire un argument du débat électoral français. Le résultat est là : une présidence effective de quelques semaines et un leadership politique réduit quasiment à néant. Voilà une erreur historique qui aura couté́ très cher à la France.

Ce n’est pas la première fois que vos objectifs de communication prennent le pas sur l’intérêt du pays. Déjà, vous aviez voulu faire de l’annonce du plan de relance le moyen de sauver le bilan européen calamiteux du président Macron à l’aube des élections de 2022. Nous vous disions à l’époque que ce plan coutera plus cher à la France que ce qu’il lui rapportera. Vous nous répondiez que la création de nouvelles ressources propres permettrait de rembourser l’emprunt contracté à l’échelle européenne. Mais où en sommes-nous ?

Valérie Hayer, qui préside la délégation LREM au Parlement européen, annonce le chiffre de 15 milliards d’euros par an pour rembourser l’emprunt européen. Le marché carbone devrait rapporter 9 milliards et la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone au frontière moins d’un milliard. La taxation des entreprises devait rapporter entre 2,5 et 4 milliards d’euros par an : mais la transposition de l’accord de l’OCDE sur ce sujet a été bloquée par le veto hongrois.

Quant à la création d’une taxe sur les transactions financières que nous avons proposée à de multiples reprises, vous l’avez refusé par idéologie. Il manque donc le tiers de la somme requise pour assurer le remboursement de l’emprunt européen. Il faudra donc couper dans les programmes du plan de relance. Ou bien les états devront augmenter leurs contributions au budget de l’Union européenne.

Pour justifier le bilan famélique de la présidence française de l’Union européenne, vous évoquez la guerre en Ukraine. Elle aurait pu être au contraire une opportunité historique d’agir de concert pour protéger les peuples européens des conséquences sociales et économiques du conflit. Négocier, à court terme, un prix de gros pour l’achat de gaz ou de pétrole ? Pas question. Bloquer les prix en instaurant un bras de fer avec les géants de l’énergie et en s’appuyant sur la force d’un marché́ de 450 millions de citoyens ? Certainement pas. Vous avez préféré́ leur garantir le pactole sur le dos des citoyens européens. Les prix à la pompe s’envolent en même temps que les dividendes de Total !

Vous nous dites que l’Union européenne s’est organisé pour sortir de la dépendance au gaz russe. Mais vous l’avez troqué pour une dépendance au gaz de schiste américain, au gaz qatari et à l’Uranium kazakhs et nigérien. Ce sont peut-être, dans votre esprit, des régimes plus fréquentables. Il est vrai que le président Macron ne semble éprouver aucune honte à déjeuner ce midi avec le prince saoudien Ben Salmane, impliqué dans l’assassinat d’un journaliste d’opposition et qui mène depuis 7 ans une guerre sanglante au Yémen.

Mais notre dépendance énergétique, elle, reste entière. Seul le développement des énergies renouvelables et la mise en place de véritables politiques d’efficacité et de sobriété énergétique peuvent permettre d’y mettre un terme. Mais comment auriez-vous pu être crédible sur ce sujet alors que vous avez fait de la France le seul pays de l’Union européenne qui ne respecte pas les objectifs fixés en matière d’énergies renouvelables ? Et comment auriez-vous pu convaincre alors que votre gouvernement a été condamné à deux reprises pour inaction climatique ? Les chauffards sont rarement les mieux placés pour donner des leçons de conduite.

Plutôt qu’une politique ambitieuse vers le 100% renouvelables, vous avez donc renforcé notre dépendance aux énergies carbonés. Et vous avez manœuvré avec la Pologne pour reconnaitre le gaz et le nucléaire comme des énergies vertes et durables dans la taxonomie européenne. La conséquence : un fléchage des financements privés et publics vers ce type d’énergies au détriment des énergies renouvelables.

Cette décision démontre à quel point votre présidence aura également été une occasion manquée pour le climat. Ici aussi, la prise de conscience en matière écologique et la mobilisation de la jeunesse européenne aurait pu être un formidable point d’appui. Mais vous êtes restés prisonniers des lobbys. Ainsi, aucun objectif climatique n’aura été réhaussé alors que l’ensemble de la communauté scientifique reconnait qu’ils sont largement insuffisants pour respecter l’accord de Paris et contenir la hausse de température en dessous des 1,5 degré. Et à nouveau, vous voulez faire payer au peuple les efforts à faire en étendant le marché carbone aux particuliers à compter de 2027 quand, dans le même temps, les grosses industries disposeront de quotas d’émission gratuits jusqu’en 2036. Les cadeaux pour les riches, les efforts pour les pauvres, rien pour le climat : on vous accordera au moins le mérite de la constance.

Car le mépris social restera bien le symbole de cette présidence. Vous auriez pu faire le choix d’en profiter pour conclure la directive sur les travailleurs des plateformes. Celle-ci reconnait enfin que le lien de subordination qui unit les travailleurs et les plateformes est un lien de salariat et qu’il doit donner droit aux droits sociaux qui y correspondent. La commission l’a proposé et un accord est possible au parlement européen sur ce sujet. Mais Uber et Deliveroo vous tiennent par le col.

Vous l’avez donc reporté car il est de bon ton de ne pas mordre la main qui vous nourrit. C’est bien Uber roi qui fait la pluie et le beau temps à l’Élysée.

Vous revendiquez une grande victoire sur la directive sur les salaires minimums. Pipeau. Cette directive ne fixe que des obligations de moyen. Elle n’aura aucune conséquence concrète et immédiate pour des millions de travailleurs européens. Et l’accord négocié́ ne contraint pas les États à avoir un salaire minimum pour tous les travailleurs. Il ne fixe aucun seuil contraignant en fonction du salaire médian ou moyen. Il faut dire là aussi que vous étiez bien mal placé pour convaincre puisque vous refusez toute augmentation du SMIC en France comme l’examen du texte sur le pouvoir d’achat l’a encore démontré. Difficile dès lors de défendre cette perspective en Europe.

Enfin, votre présidence aurait dû permettre de protéger l’état de droit menacé par la progression de l’extrême-droite en Europe. Mais vous avez retardé toutes les procédures de sanction face aux remises en cause de l’état de droit par le gouvernement hongrois de Viktor Orban. Il ne fallait sans doute pas contrarier un allié dans la défense du gaz et du nucléaire. Et vous avez approuvé le plan de relance polonais malgré l’interdiction infligé au secrétaire d’état Clément Beaune de se rendre dans une zone anti-LGBT dans ce pays pour en dénoncer l’existence. En réalité, votre faiblesse aura été un formidable encouragement pour les alliés de Mme Le Pen et de M. Zemmour, comme en atteste les propos racistes tenus par Viktor Orban le week-end dernier. On attend d’ailleurs encore votre réaction officielle Madame la Ministre. Et nous aurons compris au vu des réactions du Rassemblement National qu’ils approuvent ces propos.

Il n’y aura donc malheureusement pas grand-chose à retenir de cette présidence. Vous avez beaucoup annoncé, beaucoup fanfaronné, beaucoup revendiqué. Mais qu’avez-vous réellement accompli ? Bien peu de ce qui était vos priorités affichées. Et rien qui ne soit à la hauteur des crises historiques auxquels nous sommes confrontés. Vous avez beau jeu de brandir la quantité de textes sur lequel le Conseil s’est prononcé. La quantité n’a jamais été synonyme de qualité.

Finalement, la devise de votre présidence aurait pu être celle du Guépard : il faut que tout change pour que rien ne change. Règlements, directives, décisions, vous avez changé beaucoup de mots. Et pourtant tout est resté tel quel.

Malheureusement, les citoyens européens ne peuvent pas se payer le luxe de l’illusion du changement. C’est donc 6 mois de perdu pour eux et pour la France.